Interview : Peter Gordeno (Depeche Mode) / PARTIE 2

Depeche Mode - Photo : Ugo Schimizzi

Considéré comme l’un des groupes les plus influents de la période post-punk avec des ventes d’albums excédant les 100 millions, Depeche Mode fait partie d’une sélection de ces rares artistes ayant survécu aux années 80, grâce notamment à leur vision créative. Formé en 1981, Depeche Mode –Martin Gore, Dave Gahan et Andy Fletcher – continue de récolter un succès tant commercial que live ; le groupe étant réputé pour ses prestations scéniques exceptionnelles.

Nous avons rencontré Peter Gordeno un des claviéristes de Depeche Mode à l’hôtel George V (excusez du peu !) un après-midi avant le concert à Bercy (live report du concert ici).  Voici une partie de l’interview qu’il a gentiment accepté de nous accorder, la deuxième partie étant dans notre numéro 8.

 

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Tout d’abord, merci de nous recevoir et merci à Geoff Dugmore de nous avoir mis en contact. D’où le connais-tu ?
Avec plaisir ! Vous voulez un thé ou un café ?

La serveuse arrive pour prendre notre commande.

Oui, merci je vais prendre un latte.
Moi, un thé Earl Grey, ce sera parfait.

La serveuse s’éclipse.

Pour revenir à ta question, je connais Geoff, car on a fait pas mal des disques ensemble. J’essaie de me rappeler quand exactement… Le premier était il y a plus de dix ans probablement et ensuite nous avons joué pas mal de concerts ensemble. C’est un de mes batteurs favoris et il a une très bonne énergie en studio. En plus d’être un excellent batteur, c’est un mec adorable et c’est toujours très sympa de l’avoir dans les parages. Il met une bonne ambiance.

Vous avez beaucoup de points communs : lui aussi il est producteur, musicien de studio, musicien en tournée etc…
Oui c’est vrai, je lui ai parlé il y a quelques temps et c’est possible qu’on fasse quelques projets ensemble l’année prochaine, comme je serai libre après cette tournée avec Depeche Mode. En fait, quand il produit quelqu’un il pense à moi et inversement. C’est vraiment un mec bien. Et toi, tu le connais depuis longtemps je suppose ?

En fait, pas vraiment. Je l’ai rencontré sur une de ses dernières tournées avec Johnny Hallyday. Je l’ai vu sur scène et je me suis dit qu’il avait l’air sympa et intéressant. Je lui ai demandé une interview et depuis on est amis.
C’est marrant, car je l’ai vu à Paris l’été dernier, lors de sa dernière tournée avec Johnny Hallyday, car nous jouions avec Depeche Mode au Stade de France dans la même semaine et lui faisait trois concerts avec Johnny à Bercy. J’ai assisté à un des concerts d’ailleurs.

Au fait, tu as combien de temps à nous consacrer là ?
Je pense qu’on part pour Bercy à 17h45 (ndlr : il était 16h30 à ce moment-là) et dans 45 minutes il y a une personne qui vient récupérer un synthé dans ma chambre.

Tu es un artiste à part entière : tu es musicien mais aussi compositeur, interprète ou producteur etc. N’est-ce pas frustrant de jouer pratiquement toujours la même chose tous les soirs ? Comment conserves-tu cette part de créativité en tournée ?
Pour chaque musicien en tournée, il y a toujours cet élément lié à la répétition et je pense que c’est obligatoire. Même pour Martin, qui a écrit les chansons il y a 20 ou 25 ans maintenant, il doit les jouer encore aujourd’hui. Oui, des fois cela peut être frustrant, mais tu peux te dégager des créneaux pour être créatif. Là par exemple, j’ai demandé à ce qu’on me livre un piano dans ma chambre et c’est le truc que quelqu’un vient récupérer avant ce soir.

Tu t’es fait livrer un piano dans ta chambre ? Comme ça ?
Oui, mais c’est un piano électrique, pas comme celui qui est en face de nous là. (ndlr : il désigne du doigt le piano à queue qui figure dans le salon de thé à l’arrière-plan). Mais tu as raison, la prochaine fois, je demande à ce qu’on me livre celui-là dans ma chambre (rires). Donc, oui, il y a moyen d’être créatif et je ne demande pas un piano tous les jours, mais comme on est à Paris pour cinq jours et que j’étais souvent à Paris ces dernières années, j’en profite pour composer dans ma chambre. Je ne peux pas faire du shopping tout le temps, donc c’est sympa d’avoir un piano dans la chambre pour noter quelques idées. La partie créative ne s’arrête pas quand je suis en tournée.

La serveuse revient avec le thé et le café.

C’est quelques fois très dur de trouver le bon équilibre. Tu voyages beaucoup, tu joues des spectacles presque tous les soirs. Tu n’as pas souvent envie d’être créatif. Souvent tu es fatigué ou tu passes juste une nuit dans la même ville et tu veux juste dîner, regarder la télévision et te coucher. Quand je ressens le besoin d’être créatif, je me débrouille toujours pour trouver un piano ou un studio d’enregistrement.

Je sais que tu as avec Martin une partie acoustique sur cette tournée. Y a-t-il une chanson que tu préfères jouer ?
Cela change tout le temps en fait. Les chansons acoustiques sont vraiment les chansons où je peux être totalement moi-même. Je n’ai pas besoin de respecter la partition à la lettre. On fait une version de la chanson Slow, qui est une chanson électronique qui figure sur le dernier album. On essaie de changer de chansons régulièrement avec Martin, histoire de ne pas s’ennuyer. Nous faisons des versions bluesy, pour que cela sonne comme dans les années 20. J’aime changer les titres de façon organique. Je pense que ce soir nous allons faire autre chose, car on a déjà joué ce titre il y a deux jours. Quand on fait deux concerts dans la même ville, on essaie de varier, car il y a pas mal de personnes qui assistent aux deux concerts.

La serveuse essaie de nous servir un peu d’eau et renverse deux verres. L’eau éclabousse toute la table, un magazine Karma et le portable de Peter, qui pourtant n’a même pas sourcillé. Elle s’excuse platement et s’éclipse sous notre regard noir. Peter continue comme si de rien n’était…

Vos fans vous suivent vraiment partout. Même jusqu’au George V à Paris ! (ndlr : une horde de fans attendaient à l’entrée de l’hôtel).
Les fans nous retrouvent à chaque fois. De toute façon, il n’y a que deux hôtels où Depeche Mode passe ses nuits à Paris : c’est celui-ci ou le Park Hyatt. Nous étions déjà ici lorsque nous avons fait le Stade de France ou le show à la télévision l’été dernier. Les fans sont la plupart du temps très polis, mais c’est vrai qu’il y a des fois où j’aimerais prendre mon café sans être dérangé.

Laissons Depeche Mode un peu de côté. Je vais y revenir plus tard. Je sais que tu ne fais pas que cela.
Parle-nous un peu de tes influences musicales ! Qu’écoutais-tu étant enfant ou adolescent ?
Enfant, j’écoutais essentiellement de la musique afro-américaine ou de la soul. Ça pouvait varier entre Prince et Stevie Wonder. Après j’ai découvert Marvin Gaye et la Motown. Le premier disque qui m’ait vraiment inspiré c’est un disque de Stevie Wonder. Je pense que c’est ce disque qui m’a donné envie de faire de la musique. Quelqu’un l’avait abandonné chez moi. Il y a vraiment un avant ce disque et un après. Avant cela j’écoutais que de la musique pour enfant et cette compilation, car il me semble que c’est une compilation, a été une vraie révélation pour moi. Je l’ai écoutée presqu’exclusivement pendant une année entière. Je connaissais chaque note par cœur. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert le rock et la musique électronique.

Avais-tu appris le piano avant d’écouter Stevie Wonder, ou après ?
En fait, je jouais déjà un peu de piano et je prenais des cours de saxophone aussi. J’avais déjà l’oreille musicale mais à l’époque j’étais juste un gosse qui commençait à montrer un certain talent pour la musique. C’est à 13/14 ans que je me suis dit que j’aimerais en faire mon métier et à jouer sérieusement.

Que pensait ton père de ton enclin pour la musique ? Ton père, Peter Gordeno senior, était aussi un artiste, il était chorégraphe, chanteur, danseur, acteur, compositeur.
Je pense qu’il devait se douter que l’un d’entre nous, mon frère ou moi, allait prendre le même chemin que lui et allait poursuivre sa carrière de manière artistique. Mon frère ne l’a pas fait, donc il ne restait que moi.

Peut-on parler de ton père ou est-ce trop personnel ?
Non, pas de problème. Vas-y.

Il me semble que vous avez un projet commun appelé « The Golden Land ». Peux-tu nous en parler ?
Mon père est décédé il y a quelques années. Avant de mourir il avait commencé un projet, car il était né en Birmanie qui s’appelle aujourd’hui Myanmar, ce qui veut dire « Golden Land ». Il est tombé malade et à partir de là il n’a plus pu remonter sur scène. Du coup il a commencé à écrire une comédie musicale qu’il a appelé « The Golden Land ». Cela a pris plusieurs directions différentes et il a dû s’arrêter quand il était mourant. Cependant il y a plusieurs producteurs londoniens qui ont repris ses écrits et qui vont les utiliser en totalité ou en partie. Certains passages vont être réécrits. J’ai écrit quelques chansons mais je n’ai pas vraiment participé à ce projet. D’après mes informations, un spectacle est en train d’être monté, mais cela prend du temps et là, c’est au stade où il faut trouver des investisseurs pour lancer une version plus modeste du projet. Ce petit projet permettra de trouver des plus grands investissements qui, eux, permettront de lancer la vraie comédie musicale.
Lancer une comédie musicale c’est plus compliqué que de faire un album en fait. Les investissements sont nettement plus conséquents. J’espère que cela aboutira un jour, mais ce n’est pas pour tout de suite. Où as-tu lu cela ?

Je me souviens l’avoir lu sur un blog. Une personne disait que, ton père et toi, vous aviez ce projet en commun et que tu te chargeais de sa poursuite après le décès de ton père. Comme un héritage en somme.
J’aime cette idée. C’est assez vrai. J’aimerais beaucoup que ce projet se réalise, car c’est en partie basé sur sa vie. Ce n’est pas totalement autobiographique, mais les grandes lignes concernent vraiment directement sa vie. Il a été évacué lors de l’invasion des japonais en Birmanie et il est arrivé en Angleterre à 18 ans. Il n’avait jamais fait de danse professionnellement auparavant, mais il s’est avéré être très bon en danse. Du coup il y a eu des boulots en tant que danseur.

Il a aussi été acteur dans une série appelée UFO(ndlr : traduction pour OVNI)
Oui… Oh oui ! Il a tiré sur des aliens ! (fou rire général)

C’est vraiment bizarre, car la seule photo que j’ai trouvée de ton père c’est celle où est acteur dans cette série et où il est dans un vaisseau spatial.
Apparemment c’est une vraie série culte. Tu vois cette série passe encore très souvent à la télévision. Les gens connaissent mon père grâce à cette série. Pourtant il n’a participé que pendant une saison donc pendant douze semaines et dix épisodes tout au plus. Il a quitté UFO à l’époque pour faire West Side Story, la version originale dans le West End.

 

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On va revenir un peu à Depeche Mode. Peux-tu me dire quel est ton « Personal Jesus » ?
Je pense que ce sont mes amis. Mon groupe d’amis en fait. Si le « Personal Jesus » veut dire quelque chose dont j’ai besoin pour vivre, je pense que c’est bien cela. Il y a beaucoup de choses que j’aime, mais finalement le plus important ce sont mes amis. Je vais fêter mon anniversaire là à Milan et j’ai une grande partie de mes amis et de ma famille qui vont venir. Je suis vraiment content. Il y aura aussi quelques personnes de la troupe de Depeche Mode de qui je suis devenu proche.

Quelle est la chose dont tu ne peux « Just Can’t Get Enough » ?
Je vois ce que tu es en train de faire ! (rires)

C’est la dernière question de ce genre, promis !
(Il réfléchit longuement) C’est dur comme question ! Je pense que je vais dire « apprendre » et s’informer. J’aime apprendre de nouvelles choses, que cela soit en musique ou dans d’autres domaines. Les choses matérielles deviennent moins importantes à partir du moment où tu es en tournée et que tu dors dans des hôtels comme celui-ci. Après un moment tu n’as plus envie d’être dans ce genre d’endroit à boire un thé. Ton cerveau a besoin de nouvelles choses. Je pourrais aussi te parler de nourriture ou de sexe, mais si je choisis ces choses-là, cela ne me différenciera pas des autres personnes de ce monde, donc je choisis « apprendre ».
J’essaie de ne pas trop manger en tournée. Il y a de la nourriture partout. Tu n’es jamais à moins d’une heure d’un repas ou de nourriture.

J’imagine que dans ce genre d’hôtel, vous pouvez avoir de la nourriture 24 heures sur 24, non ?
Oui, dans les hôtels ou par exemple demain nous allons partir en avion et je sais qu’on va nous servir à manger avant de partir, dans l’avion et à notre arrivée. On n’en voit jamais la fin !

Peux-tu nous parler des associations que Depeche Mode soutient ?
Nous avons un contrat avec la marque de montre très connue Hublot. Lors de notre dernière tournée nous avons fait un concert pour « Teenage Cancer » et Hublot avait créé douze montres Depeche Mode pour l’occasion. Elles ont été mises aux enchères et on en a récolté 260 000 livres. Cette tournée-ci nous travaillons avec « Charity : water », qui est une association qui fore des puits en Afrique ou au Pakistan. On offre ainsi la possibilité à tout un village d’avoir de l’eau potable. L’année dernière le modèle vendu était doré et cette année il est argenté. Je pense que le prix est de 25 000 euros chacune. Les gens les achètent donc c’est vraiment génial ! Il va aussi y avoir un dîner de charité dont le but sera d’enchérir sur une montre d’une valeur de 80 000 euros. Tu verras ce soir, car il y a un petit film avant le concert qui parle du projet. Donc tu vois : nous donnons aussi et nous ne faisons pas que nous plaindre !

 

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Notre question rituelle sur les Beatles ou Rolling Stones et la suite de l’interview, consacrée en plus grande partie a Depeche Mode figure dans notre numéro 8, que vous pouvez consulter ici !

 

Propos recueillis par : Nathalie Barbosa / Photos : Ugo Schimizzi

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