Interview : Ange

6 disques d’or et plus de 6 millions d’albums vendus. Rien que ça ! C’est Ange, « père fondateur du rock progressif français », d’après leur biographie et depuis toujours sur scène… ou presque. Les raisons du succès sont simples: fin 1969, Christian Décamps fonde un groupe qui va coller à l’air du temps. En quelques mois, avec ses prestations scéniques uniques et son univers musical avant-gardiste, onirique et délirant, Ange devient la coqueluche du moment et ne dément toujours pas sa réputation de groupe de scène et de studio qui marche hors des sentiers battus.

40 albums et plus de 40 ans de carrière plus tard, appuyé par Tristan Décamps (le fils) qui partage et maintient le flambeau, Ange est à ce jour le plus vieux des dinosaures du rock français et a conquis une horde de fans imbibés jusqu’au cœur des textes incroyables et des mélodies symphoniques et démentes d’un groupe finalement inclassable. Venez les découvrir ou redécouvrir le vendredi 29 novembre à La Passerelle à Florange et le samedi 30 novembre au Hublot à Nancy. En attendant, Christian Décamps, le père spirituel en question et fondateur du groupe, a répondu à nos questions.

Bonjour Christian ! Je me suis amusée à regarder la définition de «Ange» avant de t’appeler et voilà ce que j’ai trouvé : «Un ange, du latin angelus, emprunté au grec γγελος, ángelos, «messager», est une créature céleste dans de nombreuses traditions. Ce terme désigne un envoyé de Dieu, c’est-à-dire un intermédiaire entre Dieu et les Hommes» dixit Wikipédia. Est-ce bien vous ?

Bonjour Nathalie ! Oui, ça résume bien Ange en fait. Nous faisons le lien entre Dieu et les Hommes, donc entre rien et rien ! L’existence humaine en soit n’existe pas. On vit tous dans un rêve ou dans une utopie. C’est un peu comme «L’Origine du monde» de Gustave Courbet: l’origine-même de la vie est une énigme et la vie est une absurdité. On vit tous pour mourir. Ce qui est intéressant, c’est l’inconnu. Le futur est un passé en devenir. Le présent n’existe pas. Les anges sont immortels.

 

Le Moyen-Âge t’a toujours fasciné. Pourquoi ?

Pour moi ça a été une période comme ça. Notre dernier album est d’ailleurs appelé «Moyen-Âge», car je trouvais que l’on revenait de plus en plus au Moyen-Âge, du moins tout ce qu’il représentait. Le fossé est de plus en plus grand entre la précarité et le luxe dans notre société. La technologie dépasse l’intelligence humaine. Je vois cette période comme un astéroïde qui se jette sur notre planète et qui creuse les différences. On a recréé une certaine forme d’obscurantisme au 21ème siècle. J’ai l’impression que c’est cyclique et que ça revient tous les 600 ans. Ça permet à notre planète de se renouveler et de renaître de ses cendres.

 

Comme une sorte de catharsis ?

Oui totalement ! Je vois la vie sur notre planète comme un gag divin.

 

Pour toi, donc Dieu joue aux dés ?

Oui, la vie c’est l’inconnu. Mais pour revenir au Moyen-Âge, ce n’est pas la seule période que j’ai recréée dans les albums. J’aime réinventer les périodes. J’appelle cela de la poésie, suivant l’étymologie grecque du terme qui veut dire «création». C’est tellement bien de créer. Depuis 44 ans que le groupe existe, nous en parlons souvent dans nos albums.

 

Après avoir connu un tel succès ça ne fait pas trop mal à l’égo aujourd’hui de jouer à nouveau dans des salles plus intimistes ?

Je n’aime pas parler d’égo. Ego ça veut dire «moi». En fait ce qui fait le plus mal c’est l’ignorance et la non reconnaissance d’un pionnier. C’est blessant par rapport au public et par rapport aux gens qui apprécient notre musique. La blessure, elle est là. On n’a jamais eu de chance en fait ! Un témoin nous a dit que notre premier impresario chez Philips avait jeté nos disques de promotion aux égouts. En France, il y a toujours ce Parisianisme contre la Province. Au-delà de Paris il n’y a rien. Ils ont cette espèce de monopole. Nous, on est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Le métier n’a pas changé d’un poil d’ailleurs, il est toujours aussi ringard. Les émissions de télé sont toujours les mêmes depuis 10, 20 ou même 30 ans.

Encore une petite anecdote : on s’est produit en 1977 dans le Palais des Sports de Lyon devant plus de de 10.000 personnes. Un charter avait été affrété par Phonogram pour toutes les personnes importantes des médias. Un ami à moi était dans cet avion et m’a dit qu’à l’aller, ils parlaient de tout sauf de ce qu’ils allaient voir et au retour ils parlaient de tout sauf de ce qu’ils avaient vu. En France c’est récurrent comme attitude.

 

S’appeler « Ange » et venir jouer dans la région des « patelins qui se finissent en -ange » (comme dit Lavilliers), c’est une région que vous appréciez ?

Oui, j’aime beaucoup la Lorraine ! On a vécu de grands moments à Uckange en 70, je crois. Le concert était sous un chapiteau. Le public lorrain est hyper fidèle. Et puis certains de mes musiciens sont lorrains, on va donc jouer à domicile. Ange c’est le plus beau lien entre la Franche-Comté et la Lorraine. Je me souviens aussi que quand on était à Florange, on inventait des noms de villages qui n’existent pas : Jus d’orange, Ca-m-démange, etc. on se faisait des délires sur les noms de patelins.

 

Quels sont vos projets avec Ange pour l’année 2014 ?

On a de grands projets ! En 1975 on avait sorti l’album « Emile Jacotey », qui a été quatre fois disque d’or. Ce personnage c’était un maréchal-ferrant qui racontait des contes dans l’Est républicain. A l’époque il était aussi connu que l’Abbé Pierre. On aimait le fait qu’un anonyme soit devenu célèbre. Aujourd’hui on dirait que « ça avait fait le buzz » à l’époque. Là, le 5 décembre, on retourne en studio pour réenregistrer l’album originel et on y ajoutera 4-5 titres en plus. Le titre sera « Emile Jacotey résurrection ». La sortie est prévue fin mai 2014 et la première aura lieu dans mon village. Il y aura un marché du terroir aussi. Cela va être du rock paysan.

 

Enfin pour terminer, la question rituelle pour le magazine Karma: préfères-tu les Beatles ou les Rolling Stones? Et pourquoi ?

J’aime les deux, pour les choses qu’ils m’apportent ! Je n’ai pas de préférence. J’aime les Beatles pour leurs mélodies et les Stones pour leur gnaque et leur force. J’ai été influencé par les deux mais aussi par beaucoup d’autres, comme les Who par exemple.

Propos recueillis par : Nathalie Barbosa

Concerts :

Le vendredi 29 novembre à La Passerelle à Florange et le samedi 30 novembre au Hublot à Nancy

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