Live Report : Pitchfork Festival (Paris) – 1 au 3 Novembre 2012

Live Report : Pitchfork Festival (Paris) – 1 au 3 Novembre 2012

Fort de son succès en 2011 pour sa première édition en France, le Pitchfork festival (du 1er au 3 novembre 2012 à la Grande halle de la Villette) s’est associé à l’agence de production française Super! dans la programmation de groupes pointus et valeurs montantes. Le rendez-vous de l’année pour toute la communauté arty anglo-saxonne et spécifiquement américaine de Paris. Le festival originaire de Chicago fut créé à partir du très influent journal en ligne éponyme reconnu pour ses chroniques acérées et classifications des meilleurs albums indies.

Pitchfork Festival - Photo : Anne-Lise François

Pour sa deuxième édition en France, le Pitchfork festival a encore fait fort en rajoutant une date par rapport à l’édition précédente, réunissant en trois jours près de 20 000 personnes autour d’une trentaine d’artistes représentant la scène pop, rock, électro et folk indépendante. Le Magazine Karma était donc présent pour se faire une idée du plus américain, pointu et (peut être) hipster des festivals actuels dans l’Hexagone.

JOUR 1 JAMES BLAKE

Une fois arrivé dans l’enceinte du festival, on remarque les looks assez travaillés et branchés des festivaliers. L’ambiance est détendue, certains se font tirer le portrait dans une cabine de photomaton vintage, d’autres chantent « All i Want for Christmas is… » au pied des enceintes extérieures. D’autres encore se font déjà piétiner leurs Derby vernies au comptoir des pressions à bières. Mais ce qu’il y a de plus dépaysant. C’est bien les nationalités et langues (suédois, anglais, italiens, américains) qui se mélangent et s’échauffent.

Enchantée par la prestation pop de François and the Atlas Mountain - la formation des français expatriée à Bristol étant d’un entrain motivant, au contraire d’un public plutôt passif (qui attendait peut être plus Chairlift coincé à New York avec le cyclone Sandy) – je me fonds alors dans la foule. Surprise, je me retrouve alors dans une discussion en catalan revenant sur le set aérien du barcelonais John Talabot aux confins les plus exotiques de la house (bruits froissants de jungle, percussions).

Mais la tête d’affiche ce soir là est bien le jeune londonien James Blake. Invité sur la BBC Radio à faire des remix aux cotés du parrain Gilles Peterson, Blake a, en l’espace de trois années, déjà travaillé avec Mount Kimbie, Bon Iver et signé chez R&S Records (Aphex Twin) un album en 2011. Le songwriter londonien, on l’aura compris, sait bien s’entourer.

Ce soir-là, la silhouette discrète du britannique impose une voix envoûtante dans un tempo exploitant les silences et reprises au clavier comme des moments de grâce douce et mélancolique. Aux premières notes au piano, la scène se noie dans un épais nuage rouge et pose la sensualité soul de « There is a limit to your love ». Les sonorités dites « post-dubstep » teintées d’ electronica tournent au ralenti. Lorsque retentit « The Wilhem scream », des couples s’étreignent et la foule reconnaissante, s’émeut devant une scénographie minimaliste et juste. Humble, le grave mais non moins talentueux Blake et son batteur (superbe au passage) reprennent un beat plus énergique, plus dub sur « CMYK », samplé avec des voix rnb féminines.

Alors que certains quittent déjà la foule pour se placer au prochain concert de M83, je reste comme absorbée dans l’atmosphère ambiante et m’imagine dans un club underground londonien, regorgeant d’artistes post-dubstep. Entre la virtuosité du piano, les arrangements de voix et ses ruptures de rythmes, James Blake joue la discrétion mais s’impose comme un prolifique producteur et compositeur moderne, oisif et réconfortant.

James Blake - Photo : Anne-Lise François

JOUR 1 M83

Minuit passé. Les grands esprits se rencontrent, d’autres s’échauffent dans la grande halle de la Villette qui vibrera bientôt aux sonorités synthétiques et efficaces de M83.

Le temps de digérer le Pépito bleu du dandy gourou Sébastien Tellier, je me dirige vers la tête d’affiche francophone que représente le groupe M83 et son tube à succès « Midnight City » souvent repris dans nombre de publicités et médias.

M 83 - Photo : Anne-Lise François

L’introduction du groupe impose un univers digne d’un film de science-fiction avec l’apparition sur scène de lasers aveuglants et d’une créature intrigante reprenant la jaquette de leur dernier album.

Les chuchotements dérangeants de Zola Jesus sur « Intro » rappellent une ambiance intergalactique mais rapidement la voix d’Antony Gonzales vient nous rassurer. Le vaisseau M83 est  alors prêt à décoller dans la Grande halle de la Villette sous une pluie d’étoiles bleues et froides, qui fondent rapidement avec « Reunion », comme pour réveiller un public engourdi par l’heure tardive. En fond de scène, tapis dans l’ombre, un orchestre accompagne « Wait » et donne une profondeur à des voix amplifiées. On regrettera sa transparence sur d’autres morceaux. Accompagné au chant par Morgan Kibby sur leur dernier album « Hurry Up, We’re Dreaming », Antony Gonzales le leader propose un show rodé et électrique, entre l’énergie communicative des breaks de batteries, les guitares saturées et les claviers électroniques. Mention spéciale au guitariste/claviériste hyperactif du groupe qui impose sur scène une énergie drôle et percutante en sautillant aux quatre coins du plateau, comme un pied de nez au morceau « Sitting ». Le public est emballé, la dream pop efficace. Alors que certains se dirigent vers la sortie, beaucoup reviennent danser sous la halle, rappelés par le titre phare « Midnight City », clôturé par le saxophoniste captant de nouveau l’attention. Fin en beauté de la première journée du Pitchfork.

 

JOUR 2 THE CHROMATICS

Le deuxième jour au Pitchfork festival annonce à nouveau une programmation millimétrée avec la folk nordique de Tallest Man on Earth, qui avec sa voix  singulière (pas loin de Dylan), a su conquérir l’Europe et les Etats-Unis d’une soif d’évasion assumée. Pas étonnant donc de le retrouver au Pitchfork quand on sait qu’il réalisa en 2008 les premières parties de l’ami de Bon Iver.

Chromatics - Photo : Anne-Lise François

Une fois mon estomac rassasié au village gastronomique évidemment bio, arty et expensive je me place à quelques mètres des balances des Chromatics. Johnnie Jewel (leader et claviériste) laisse apparaître derrière ses mèches noir corbeau des larmes (tatouées ?) sur son visage et annonce la couleur électro disco noire et mélancolique du groupe. Les quatre membres originaires de Portland revendiquent une esthétique inspirée de la new wave des années 1980. Aux premières notes, on reconnaît  le beat progressif et jubilatoire de « Tick of the clock » de leur 3eme album « Night drive », qui inspira largement la B.O. du film Drive, et contribua à leur succès grand public. Je croisais d’ailleurs non loin de là un fan du film avec le blouson scorpion, l’assurance de Ryan Gosling en moins… « I want your love » monte, le public reste passif et hypnotisé face à un combo focalisé sur ses instruments. La beauté glaciale de Ruth Radelet au chant fait mouche mais les guitares noyées sous le synthé de Johnnie Jewel peinent à se faire entendre. La reprise de « Hey hey my my » de Neil Young clôture leur prestation sombre (on l’aura compris), pleine de retenue, élégante en soi.

Au contraire des Chromatics résonne bientôt sur la scène opposée la pop électro acidulée de la chanteuse suédoise Robyn, mondialement connue pour son titre « With every heartbeat ». Mais ce n’est que plus tard dans la soirée que je vais prendre une grosse claque avec l’ascension de Fuck buttons.

 

JOUR 2 FUCK BUTTONS

Imaginez-vous seulement sous une grande halle par une froide soirée automnale, guidé par un bourdonnement puissant vous plongeant dans une canopée expérimentale et inconnue. A ce moment-là on se laisse prendre dans une enveloppe ambiante, les décibels grimpent, votre peau se décolle. C’est un peu la sensation première et primaire qui m’a envahie autour de ce set bouleversant de Fuck Buttons. Pas loin de l’acouphène, je me rapproche, intriguée par ses longues pistes au son pur et euphorisant. Sur scène une boule à facette (qui n’a rien de disco) absorbe toute l’énergie du public en focalisant le regard sur le duo homme/machine.

Le morceau « Surf solar » évoque le mieux leur travail en illustrant des superpositions analogiques et sonorités hostiles. Une odyssée aérienne en soi qui n’a rien à envier au territoire psyché de Animal Collective (qui les succède au programme du festival). Les sets assez longs (de 8 à 15 minutes) sont saturés d’un son synthétique ambiant qui remet au goût du jour l’effet « drone » caractérisé par un son continu, subtil, presque cathédrale.

Fuck Buttons - Photo : Anne-Lise François

Les amoureux d’electronica IDM prennent leur pied en se laissant embarquer dans une danse extatique, les autres, plus frileux, dégustent. Cette expérience introspective à terme en valait la peine.

 

JOUR 3 GRIZZLY BEAR

Le troisième jour clôturait la programmation du Pitchfork en beauté entre la pop mélodique de Isaac Delusion, l’électro lancinante de Purity ring, ou la dub « house » de Disclosure. On oubliera par contre la boucherie endiablée de Death grip et son hip-hop hardcore.

Grizzly Bear - Photo : Anne-Lise François

Ce soir, beaucoup attendaient la tête d’affiche du festival que sont les New-Yorkais de Grizzly Bear, reconnu comme figure incontournable de la pop rock expérimentale des années 2000. Porté par la voix percutante de l’humble Ed Drost sur le titre phare «Foreground», le public reprend en choeur « Two weeks » de l’album  signé chez Warp Veckatime qui les a révélés des années auparavant.

La scénographie intimiste et poétique habille le fond de la scène avec de petits lampions ressemblant à s’y méprendre à des méduses en papier. Le temps de reprendre ses esprits et la ballade solaire « Yet again » du nouvel album « Shield » arrive, temporisée par une émotion palpable dans la voix du chanteur et auprès du public, avant de se terminer sur une déferlante de guitares. Pour leur unique date en France en 2012, la pop moderne, poétique et ascensionnelle de Grizzly Bear couronne ce festival indé pointu qui les a lancé il y a déjà plusieurs années.

 

JOUR 3 SIMIAN MOBILE DISCO

Fatiguée de la supercherie mainstream de Rustie, je m’installe à la scène opposée et me retrouve dans une sorte de contre-soirée où des festivaliers improvisent des acrobaties et autres pas de breakdance (un peu hasardeux) mais bon enfant.

Pitchfork Festival - Photo : Anne-Lise François

Pour la troisième journée et clôture du festival donc, la programmation continuait pour les plus téméraires en clubbing jusqu’à 5h. Idéal pour le live electro-pop de Simian Mobile Disco ou la culture house de Julio Basmore, originaire de Bristol. Reconnu depuis le premier album Attack decay sustain release et le génial « I believe », ou son sample de Beth Ditto sur « Cruel intentions », le duo londonien entame un virage vers la tech plus pêchue avec  Unpattern leur nouvel album sorti au printemps. Le public danse gentiment, la chaleur monte sur les remixes de leurs albums avant de terminer injustement sur le terrible « Sleep deprivation ».

 

Un bilan assez positif pour le Pitchfork festival 2012, avec beaucoup d’artistes originaires de Bristol, Londres, Stockholm et une tête d’affiche française - M83 – dont la notoriété dépasse les frontières. Seul le public dit de l’intelligentsia nord-américaine était par moments un peu trop réservé et les lives carrés de 55 minutes un peu frustrants.

Mais le Pitchfork, avec sa programmation éclectique et pointue a tenu ses promesses et c’est le principal.

 Article : Anne-Lise François

Remerciements à Mélissa.

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