Interview : Feu! Chatterton

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Le groupe parisien Feu! Chatterton n’en finit plus de faire parler de lui. Nous avons rencontré Antoine (basse, synthé), Clément (guitare, claviers), Arthur (chant), Sébastien (guitare, claviers) et Raphaël (batterie), lors de leur passage au festival les IndisciplinéEs à Lorient. Après quelques blagues, quelques mots sur la Bretagne, sa géographie, son public attentif et son climat, nous leurs avons posé quelques questions, en compagnie de nos confrères de Radio Vannes, de Efflorescence Culturelle et d’un blog rennais.

D’où vient votre nom, Feu! Chatterton ?
Arthur : Ça vient d’un tableau qui s’appelle « La mort de Chatterton » du peintre Henry Wallis, qui a peint ça vers 1860. En fait, c’est un tableau qui représente un jeune homme étendu sur un lit, dans une chambre de bonne à Londres. On voit à travers la fenêtre les toits de la ville. Et, il est étendu sur son lit, il est très très beau, très blanc avec des couleurs très chatoyantes, une culotte courte bleue, des cheveux rouges… Il a l’air de dormir paisiblement. Il est très jeune, on le sait parce qu’il a aussi des traits très très féminins. Ca pourrait être une jolie jeune femme. En fait, on se rend compte qu’il ne dort pas paisiblement, mais qu’il est mort, parce qu’au bout de son bras ballant, qui pend, sur le sol, au bord du lit, il y a un flacon vide et on comprend qu’il a avalé cet arsenic, pour se laisser mourir. On trouvait le tableau très beau, et delà vient notre nom : Feu! Chatterton. Feu, comme l’expression ancienne, feu!, mort. Mais comme on ne voulait pas s’apitoyer trop non plus, et qu’on a choisi ce nom, non pas pour le suicide mais parce que la toile est belle, on a ce point d’exclamation pour le feu! du top départ, pour cette idée de résurrection. On aime bien l’idée de ressusciter.

Sébastien : Après, en fait, quand on a choisi ce nom, on ne se rendait pas compte qu’il y avait plusieurs artistes qu’on aimait beaucoup qui ont été influencés par Chatterton. On s’est rendu compte que Bashung a un album qui s’appelle Chatterton, Gainsbourg a écrit une chanson sur Chatterton suicidé, les Babyshambles ont aussi utilisé ce tableau… C’est des hasards, mais c’est vrai que ça nous a confirmé que Chatterton, c’était un choix qui nous allait bien.

Karma : En décembre 2013, vous faisiez votre premier concert hors de Paris (aux Bars en Trans, à Rennes, ndlr), vous n’étiez pas encore très connus, aujourd’hui, on parle beaucoup de vous, qu’est-ce qui s’est passé en un an ?
Sébastien : Il y a eu plusieurs étapes…

Arthur : C’est allé vite.

Sébastien : C’est allé très vite, mais il y a eu des moments clés. On a eu de la chance, puisqu’on a participé aux Inouïs du Printemps de Bourges. Ca a été un moment important. Après, on a fait le chantier des Francos, un processus de formation assez intense, qui nous a beaucoup aidé et qui nous a permis de jouer aux Francofolies. Il y a aussi les premières parties de Fauve en mai à Paris, qui nous ont vachement aidés. Tout ça nous a permis, après, d’arriver à Rock en Seine, avec peut être un peu plus de public quand on a sorti l’EP. On a eu de la chance, parce que les médias se sont intéressés à ce qu’on faisait et là, on est en tournée, et c’est déjà hyper bien pour nous de pouvoir faire autant de dates.

Clément : On parle aussi beaucoup des Bars en Trans… Trois semaines avant, on faisait un concert à Paris et on n’en parle quasiment jamais, juste parce qu’aux Bars en Trans, il y avait une toute petite jauge, 50 personnes dans le bar où on a joué, mais on ne savait pas, et on ne nous l’a pas dit, heureusement, parce que sinon on aurait été beaucoup trop stressés et on aurait fait un concert nul, mais il y avait beaucoup de programmateurs et de professionnels de la musique, de journalistes aussi, et on a eu notre premier article après ce concert-là. En fait, ça nous a ouvert pas mal de portes parce que ces gens là, du monde de la programmation se sont intéressés à nous. C’est ce qui a fait qu’ensuite, au début de l’année, on a pu enchaîner sur des festivals.

Arthur : Clément parle beaucoup de la scène, mais ça a été une longue première étape qui nous a fait connaître. On est arrivé aux Bars en Trans, parce qu’à Paris on faisait pas mal de scènes, mais pendant très longtemps, on n’avait pas de disque ! Donc, c’est beaucoup de scène, et ensuite il y eu un essor nouveau en septembre, avec la sortie de notre premier EP. Parce qu’en fait, c’est allé très très vite et en même temps, on avait du ressort pour assumer cette nouvelle pression, en quelque sorte. Ca faisait quelques années qu’on travaillait dans notre coin, mais on n’avait pas encore enregistré. Donc tout est allé très vite, mais en même temps, c’était juste les bons moments pour travailler les choses qui étaient en attente. La scène, on le faisait depuis longtemps. Ça nous a même ouvert des portes pour trouver le bon réalisateur pour notre EP, comme on l’entendait. On a gagné des prix qui nous ont permis de le faire en indépendants, etc. Donc ça s’est en fait très bien goupillé pour nous et c’est ce concours de circonstances là qui nous amène ici aujourd’hui, avec tout ce qu’on avait dans nos bagages derrière.

Tu as dit indépendant, il n’y a toujours pas de maison de disque pour travailler avec vous ?
Antoine : Ah si ! Mais les deux premiers disques qu’on a fait, on les a produit tous seuls, avec l’argent qu’on a gagné grâce aux tremplins.

Arthur : grâce à une collecte sur Kisskissbankbank aussi.

Antoine : Il n’y a pas eu de label, c’est vraiment notre production. On les a fait comme on voulait, avec les gens qu’on voulait. Pour l’instant, on discute avec les labels, mais jusqu’ici, on a tout fait tout seul. C’est important pour nous.

Sébastien : On a eu de la chance, on a pu le faire aussi parce qu’on a gagné le prix Chorus.

Clément : C’est important, sans être un choix politique.

Sébastien : C’est un choix qu’on a fait naturellement, parce qu’on a eu l’argent pour produire les disques. Après, le deuxième EP est un EP un peu particulier : c’est une chanson de 15 minutes, très longue, et heureusement qu’on a eu le prix pour pouvoir le faire comme on l’entendait.

Antoine : Ça nous a permis de faire ce qu’on voulait, comme on voulait.

Arthur : Exactement.

Antoine : On aurait pas pu signer à l’époque, ni pouvoir imposer ce qu’on voulait, c’est-à-dire un EP de 15 minutes.

Clément : Ça s’est fait naturellement, mais on se rend compte a posteriori que ça été important vis-à-vis de ce qu’on va commencer à faire maintenant, peut être avec une maison de disque.

Sébastien : Oui, aujourd’hui, si on signe avec une maison de disque, on sera à même d’imposer ce qu’on a fait jusque là. On a une équipe avec laquelle on a bossé sur le premier EP, on a déjà des gens avec qui on bosse sur les clips, on est toute une équipe, on n’est pas que tous les 5. On a eu la chance de pouvoir se développer comme ça, ce n’est pas le cas pour tous les groupes. Après, on ne critique pas ceux qui signent dès le début, ça dépend un peu de chaque parcours, je pense. Nous, on n’arrive pas les mains vides, quoi.

Karma : Pourquoi une chanson de 15 minutes ?
Clément : Mais parce que…

Arthur : C’est pareil que pour l’indépendance en fait. Les choses arrivent un peu d’elles-même et c’est ensuite, rétrospectivement, qu’on essaye de les analyser. Mais on fait rarement les choses avec une posture et donc un engagement soit politique, soit éthique, c’est comme ça vient. Il n’y a pas toujours le choix. En fait, c’est juste qu’au moment où on a voulu le faire, les moyens de le faire, c’était ceux-là. Cette chanson de 15 minutes, en fait, elle est née il y a longtemps, parce que Clément avait composé une chanson qui évoluait, c’était une sorte de variation sur un même thème, et c’est devenue une chanson très longue, mais qui est en fait composée de trois parties. Je me suis dit, du coup ça va être une histoire en trois manches, et finalement, on l’a jouée sur scène, on a fait vivre cette chanson en trois actes. Et là récemment, on a décidé de la prolonger encore et de faire une conclusion.

Clément : Si tu veux, en faisant cette chanson, on ne se dit pas : « on emmerde les radios et une chanson de 3 minutes, ce n’est pas pour nous ». C’est plus, on commence à faire des choses avec les instruments qu’on a à la maison et du texte, et en fait, il y a pleins d’idées, mais elles ne vont pas forcément très bien ensemble. Alors, pourquoi ne pas essayer d’étirer la chanson, pour faire que toutes ces idées d’arrangement et de texte rentrent ? Le texte ensuite est venu naturellement se poser sur un truc plus long, avec une histoire un peu longue, mais on ne peut pas dire qu’on va essayer de faire tenir toutes ces idées en 3 minutes parce qu’il faut faire un format comme ça, on s’est dit on prend notre temps et on expose ça. Du coup, à partir du moment où tu te dis que tu as un format de 10 minutes, et bien là tu prends vraiment le temps d’exposer plein de choses : le texte, les arrangements. On ne s’est même pas arrêté à ça, on aurait pu se dire déjà 10 minutes, c’est long. Ca a permis de réunir plusieurs périodes d’écriture et de composition, le fait de réécrire cette quatrième partie après trois ans, puisque la première mouture, c’était il y a trois ans. Ça permet de rassembler plusieurs périodes de la vie du groupe. C’est assez sympa comme idée.

Arthur : La chanson a continué à vivre depuis le début, elle a mûri, changé… Là, on arrive à quelque chose et c’est assez satisfaisant de se dire : le début est très vieux, la fin est très récente, et ça raconte un peu toute cette histoire.

Sébastien : Après, on aime beaucoup les Pink Floyd et souvent, ils avaient des chansons de ce type et on aime bien ça, donc on ne s’interdit pas du tout de faire une chanson de 15 minutes, peut être qu’on en refera. La durée n’est pas si importante que ça pour nous.

Clément : Ça dépend de ce qu’on a à dire en fait.

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Vous avez parlé de Fauve, est-ce que vous vous sentez proches musicalement de ce groupe ?
Clément : Non, Fauve on aime bien, mais on ne peut pas dire qu’on se réclame de Fauve, on faisait de la musique bien avant de connaître Fauve et on a commencé à faire des chansons un peu « spoken word » bien avant qu’ils explosent. Donc on ne se revendique pas du tout de cette veine là. Après, on est quand même conscient qu’ils ont ouvert une voie dans la reconnaissance d’un certain type de musique chantée en français et forcément, ça rejaillit un peu sur nous et sur notre exposition médiatique.

Arthur : Fauve a effectivement ré-ouvert une voie et remis au jour quelque chose qui est très ancien. Nous le « spoken word », on l’écoute avec des chanteurs de décennies plus anciennes. Gainsbourg le faisait déjà, en français, Bashung l’a fait, c’est une tradition très longue en France de raconter des histoires sur de la musique. Le rap l’a beaucoup fait en rythmant un peu plus, donc on s’inscrit dans cette longue tradition française de raconter des histoires sur de la musique. Après, on ne pense pas faire que du « spoken word », il y a toute la tradition de la chanson française, de la pop un peu plus largement.

Sébastien : Je pense que s’il n’y avait pas eu Fauve, on serait beaucoup moins intéressants aujourd’hui pour les médias et auprès du public, on n’aurait pas cette visibilité qu’on a aujourd’hui. Pour ça, on s’inscrit un peu dans ce qu’ils ont fait, mais indirectement.

Arthur : Je pense qu’ils ont vraiment redonné envie aux gens d’écouter des choses en français. Peut être que je me trompe, mais du coup, c’est chouette.

Antoine : Mais on ne peut pas dire que c’est une influence pour nous, ce serait une erreur. Nos morceaux et les leurs sont différents, ils ne sont pas composés pareil, ils n’ont pas les mêmes sonorités, pas les mêmes mots… Mais on s’entend hyper bien, c’est des gars super, mais ce n’est pas une filiation.

Vous écoutez quoi en ce moment ?
Tous ensemble : Le dernier Arcade Fire, MacDeMarco, TimberTimber… Et en français… On aime bien Moodoïd, Salut C’est Cool, Sexy Sushis, il y a des chansons cool : Retour de bâton, c’est une super belle chanson.

Arthur : C’est plus la frange électro de la chanson française qu’on aime bien. Bertrand Belin, j’aime beaucoup Bertrand Belin ! Il vient d’où, vous savez ? (un des journalistes répond « de Quiberon »). Ah ouais ? Son père était pêcheur, je crois, je me permets… (rires). Enfin bref, je ne le connais pas très bien, mais j’aime beaucoup ses deux derniers albums. Eux aiment moins que moi parce que leur culture anglo-saxonne prend le dessus, mais il y a quand même un côté chanson française, et moi j’aime beaucoup cette branche-là de notre patrimoine, quitte à aller parfois vers la variété. Je trouve que Bertrand Belin a une façon de raconter les histoires qui est hyper belle. Je vous invite à l’écouter, j’invite tout le monde à écouter Bertrand Belin, mais les gens sont moins exaltés que moi.

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Qui écrit les chansons ?
Arthur : C’est moi ! Je vais citer mes inspirations chez les chansonniers : Gainsbourg, Bashung, Belin, je ne m’en suis pas encore inspiré, mais j’aime bien comme il écrit. Dans les auteurs sinon, j’aime les romans, les poètes…

Karma : Oui, les textes sont souvent très poétiques…
Arthur : Oui, c’est vrai, il y a cet amour du lyrisme et du classicisme dans l’écriture, le plaisir de rechercher des mots anciens. Je n’ai pas lu tant de poésies que ça, je trouve ça souvent un peu austère, mais les grands : Beaudelaire, Rimbaud quand il est très classique. J’ai redécouvert Ophélie de Rimbaud, super poème qui raconte l’histoire d’une fille morte, encore une fois, qui chaque nuit vient hanter les eaux d’un fleuve. Elle dévale dans une longue robe, déployant corolle, les roseaux s’approchent, son front rêveur sous les saules pleureurs, il y a comme une image de film hanté, et il nous raconte comment elle est morte : elle a suivi un chevalier qui était venu à genoux lui demander sa main, lui offrir la liberté, les neiges lointaines et tout ça… Voilà, c’est des belles histoires comme ça et c’est très prenant. Et lui, quand il est un peu plus elliptique et qu’il raconte sans doute ce qui a été un viol sur un bateau… Voilà, des poèmes, comme ça ! Et Aragon aussi, pour les plus récents. Donc écoutez Bertrand Belin et lisez Ophélie de Rimbaud !

Dans vos textes, on sent une fascination pour les voyages lointains. Vous avez déjà eu l’occasion de voir la Malinche ?
Arthur : Ouais un peu ! En fait, j’ai envie de dire non, c’est faux, je n’ai pas du tout cette fascination là, parce qu’en fait, il y a eu ce mouvement de fascination et une grande déception derrière, un désenchantement. Donc, il n’y a pas cette fascination pour les longs voyages, pourtant j’ai beaucoup lu Kerouac, il y a eu tout ce romantisme, de notre génération en fait, parce que le low cost l’a permis, parce qu’on a eu des longues vacances et on a tous eu envie de voyager. Je l’ai fait un peu, vers 18-19 ans, un mois en Europe à dormir dans la voiture, avec l’ami dont je parle dans « A l’aube ». Mais justement, lui a poussé plus loin cette expérience et à chaque fois qu’il en est revenu, j’ai trouvé que la façon qu’il avait de voyager correspondait assez bien à la façon qu’on imaginait être la plus belle de voyager, un peu naïve et triste. Il allait chercher des choses qu’il ne trouvait pas et il se berçait d’illusions dans une sorte de parenthèse enchantée. Ce n’était en fait que des vacances. Donc voilà, je suis revenu de cet attrait pour le long voyage. Par contre, l’exotisme, c’est toujours très chouette parce qu’on a notre petite vision ethnocentrée mais on peut se permettre d’imaginer plein de choses dans des contrées qui existent mais qu’en fait on invente complètement. C’est des prétextes à mettre en scène des personnages. J’ai vécu quelques mois au Mexique, mais il vient après la Malinche. Je pourrais dire « oui, ça vient de mon voyage au Mexique, je me suis imprégné de cette culture », mais non en fait, c’est faux. La Malinche existait avant le voyage.

Karma : Dernière question, Beatles ou Rolling Stones ?
En cœur : Beatles.
Clément : Plutôt Rolling Stones.
Les autres : Non Beatles.
Clément : Franchement, je viens de voir Casino de Scorsese, il y a des morceaux des Rolling Stones dans tout le film… (les autres le chahutent) Non mais je raconte ma vie, moi aussi ! (rires)

Arthur : Mais c’est faux, tu écoutes beaucoup plus les Beatles !

Clément : Mais oui, d’accord, mais voilà, c’est parce que je viens de voir ce film. (rires)

Propos recueillis par Manuella Binet 

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