L’année dernière, c’était Âme qui s’y collait. Moins d’une semaine avant Noël, le 17 décembre 2014 pour être exact, le Trabendo (Paris) s’est de nouveau paré de brume et de lasers pour un nouveau show Arte Mix autour de CARS, The Dø et Super Discount.
The Dø, c’est vraiment une fierté parigote. Pardonnez cependant ici le centrage volontaire sur le duo magnétique formé par les deux parisiens du groupe qui donne le la. Avant et après, CARS et Etienne de Crécy – qui officie d’ailleurs sur scène pour Super Discount, du nom de l’album qu’il a dépoussiéré – ont parfaitement encadré le show.
On embarque donc d’abord dans CARS : le groupe délivre un bon style années 1980 – cold wave – du nom de ce nouveau courant électro dans la droite veine de James Blake. On sent que la demoiselle Chloé, chanteuse à la coupe courte peroxydée, a bourlingué, a vécu. Il y a du sentiment derrière cette voix déformée. Ça ne plaisante pas. Lumières de cathédrale électronique, grosses basses. Ça balance du sample à fond. Le public apprécie, se déhanche, attend aussi un peu la suite. Un bon son, mais tout de même (bien) plus dans la chanson que dans la compo.
Une petite pause food truck plus loin, on se perche sur les escaliers du Trabendo pour mieux voir l’ensemble de la scène… et on attend The Dø.
Le tout dernier album du duo, thématique fuyarde et menottes, fait figure de nouveauté quand on s’est habitué à écouter en boucle leur premier succès, On my Shoulders, mélopée folk nostalgique et doucereuse. La transition plus « nocturne » de l’album Both Ways Open Jaws avait déjà posé les jalons de leur tournant électro, nouvel horizon aux sonorités ultra numériques.
Le show commence en douceur, avec une intro plutôt soft. La voix cristalline d’Olivia fait son œuvre, mais on reste sur ses gardes : on connaît le titre de l’album, Shake shook shaken. Ça va secouer. Et on n’est pas déçu : voici une version un rien déconstruite de Keep your lips sealed…que le public reconnaît immédiatement et qu’il chante en chœur, au mépris des paroles invitant à garder la bouche close. A l’inverse de ce que confiait en interview Dan à Karma début décembre, cette fois, pas de trace de fans immobiles et curieux au premier rang : le public vibre comme un seul homme.
Les morceaux s’enchaînent sur un rythme effréné, les ambiances se succèdent : lasers dévorant les profondeurs de la scène et ses fumigènes, tendances stroboscopiques, lumières aux couleurs primaires découpées au scalpel… Tout est millimétré, graphique, chorégraphié. Accompagnés de deux acolytes, l’un aux synthé/basse/guitare, l’autre au chant et au synthé, le duo délivre un show de très haut niveau. La nouvelle formation du groupe, avec ses machines à l’efficacité implacable, provoque tout de même une pointe de nostalgie : on repense à leurs premiers concerts, la scène envahie de percussions, d’objets épars et de trouvailles sonores on ne peut plus acoustiques. Un puriste dirait que « ça manque d’amplitude »…
Et pourtant, lorsque résonne Slippery Slope, le tube de l’album précédent, réinterprété comme un chant tribal électrifié, résonnant entre les côtes, on oublie de leur en vouloir. Despair, Hangover & Ecstasy n’a jamais aussi bien porté son nom : l’extase est proche, Dan à la batterie électronique et la voix aérienne d’Olivia nous y emmènent avec précision et force.
Dust it off, un des derniers morceaux, démarre avec une grande discrétion, puis finit dans une apothéose de trip hop électro – sans toutefois passer totalement de l’autre côté : le timbre de la demoiselle nous maintient dans l’univers du groupe, glaçon s’élevant dans des sonorités chaudement métalliques. Même lorsqu’Olivia, toujours une « bête de scène » en dépit de son costume de bagnard rouge, coiffe une tête de lézard hors-sujet, personne ne bronche, le spectateur lui reste acquis, conquis.
Le duo finit sur Lick my wounds, chanson lancinante presque feel-good. « No one will be left behind, I guarantee », dit-elle, et c’est vrai : tous à bord, on boit ses paroles, et le silence final nous laisse ébouriffés, un peu exaltés, sans savoir trop pourquoi. Comme à la fin d’un moment d’intimité, mystérieux et intense.
Super Discount, juste après une telle performance, fait un peu peur. Un effet « aucun lien, fils unique » entre les groupes. C’est l’heure d’ouvrir le club. La salle se vide un peu, les échevelés de The Dø en ont assez vu, mais des vivats accueillent les trois membres du groupe installés aux machines. Entre nostalgie des années 2000 et sonorités très très house, l’univers d’Etienne de Crécy, doyen du genre, est bourré de références. Et puis ses morceaux ont ce côté « dansez, dansez, sinon nous sommes perdus » de Pina Bausch. Alors on danse, pour conjurer le sort, même si tout doit disparaître : leur jeunesse, 2014, le clubbing…
Ne reste que le beat, immense et omniprésent, entre les lettres phosphorescentes.
Merci Arte : ce concert aussi était né sous une bonne étoile.
Article : Marie Godart
Photos : Philippe Lévy