Comment s’est passé la composition de cet album ?
C’est simple. Je ne connaissais aucun de mes invités, je leur ai simplement envoyé les chansons et ils ont aimé. J’ai voyagé, c’est un disque qui a voyagé. J’ai par exemple travaillé avec Eugène Hütz qui habite aujourd’hui à Rio. J’étais dans le sud de la France avec Stephan Eicher, avec cette jeune irlandaise dans son pays. C’est un album avec des méthodes très à l’ancienne. Ce disque n’a sûrement rien à voir avec mon premier disque, parce qu’il est énormément influencé par les fortes personnalités des invités.
Le titre de l’album, Champagne for Gipsy, fait écho à un autre album, Alkohol – Śljivovica & Champagne, paru 2009. Vous avez une relation particulière avec le champagne ?
(rires) Non, Champagne, c’est la deuxième partie du disque Alkohol. Au début, j’avais prévu la première partie pour dans un discours très « alcool fort ». Le deuxième devait être plus romantique. Mais étant donné le contexte, je voulais réagir de manière plus affirmée. Alors c’est un disque a boire et danser, mais quand même avec un petit message derrière.
Pourquoi avoir voulu jouer avec Eugène Hütz ?
Parce que c’est un gitan. Il n’y a que des gitans dans Gogol Bordello. C’est la plus grande star gitane au monde actuellement. C’était logique tout simplement !
Vous parlez dans une autre interview de cette explosion de la connaissance des gens pour la culture gitane. Avez-vous l’impression qu’internet a favorisé cette recherche ?
Internet a beaucoup aidé les gens curieux dans cette découverte. Non seulement la musique, mais aussi la littérature, les films, la cuisine. Bref, l’ensemble des domaines. Si vous êtes naïfs vous pouvez penser que tout se passe à la télé, mais ce n’est pas vrai. Si vous êtes curieux, vous avez forcément envie d’aller chercher ailleurs.
Vous avez également dit « si tu veux être un compositeur important, il faut que ta musique soit jouée dans des moments importants ». Avez-vous le souvenir fort d’avoir entendu votre musique dans un de ces grand moment ?
Vous savez, je suis docteur d’honneur de l’université de Scheffield en Angleterre. J’étais curieux de savoir d’où était parti cet intérêt pour moi. D’après eux, tout ceci a commencé parce que tout à coup le professeur de l’université s’est mis à écouter ma musique. A partir de là, le département de musicologie a fait des recherches autour de moi et j’ai aujourd’hui un doctorat d’honneur de cette université.
Comment définiriez-vous votre musique ?
J’essaye de faire de la musique contemporaine. Mais je viens d’un endroit où la musique n’est pas contemporaine, plutôt ancienne. La mission c’est d’être contemporain, alors ce n’est pas simple pour un compositeur comme moi. Le problème avec la musique, c’est qu’on ne peut pas tricher sur ses origines. Tu peux écrire dans une langue étrangère mais tu restes un compositeur local. Ça se sent. Votre musique sort d’un endroit beaucoup plus profond. Je suis condamné à être compositeur d’une toute petite culture, mais je suis né dans un moment où cette curiosité peut être satisfaite, alors j’ai un public conséquent. J’ai joué en Sibérie, Amérique du Sud, Islande, Australie, partout.
Comment voyez-vous votre travail de composition ?
Comme chaque compositeur dans l’histoire. Je travaille, c’est comme tous les autres boulots normaux. Je travaille 8h par jour, comme tous les artistes. J’essaye de créer créer de la musique pour que mes enfants n’aient pas honte.
Pourquoi vous intéresser autant à la culture gitane ?
Les gitans sont spécialement fragiles. C’est un peuple qui souffre depuis cinq siècles en Europe. Pendant la 2e guerre mondiale, proportionnellement, les nazis ont tué plus de gitans que de juifs. Alors, assister aujourd’hui à un tel comportement est difficile à supporter. On doit avoir un coeur pour toutes les minorités. Je viens d’un endroit qui a des problèmes depuis toujours. Cette frontière directe entre catholiques, orthodoxes et musulmans fait que la guerre ne finit jamais. Mais en tant que compositeur, je suis né dans un endroit éclectique, mêlant les musiques religieuses, de mariage, de ces trois religions. C’est un endroit riche en musique.
Vous parlez de frontières, du fait que vous ayez vécu la guerre, que vous inspire la situation entre Palestiniens et Israéliens ?
Normalement, les guerres ont un « intérêt ». Les guerres de religion, elles, sont « au-dessus » de ça, c’est irrationnel. Il y a un intérêt mais aussi un aspect irrationnel. A la fin l’intérêt trouve un moyen de finir avec la guerre, mais la religion est dure à gérer. C’est une guerre qui depuis toujours continue et j’imagine difficilement la voir se résoudre.
Vous composiez il y a quelques années pour des réalisateurs comme Kusturica. Comment écrit-on pour le cinéma ?
Je ne suis pas un vrai compositeur de films, j’ai simplement eu une période où je travaillais pour les films. J’ai travaillé avec des metteurs en scène qui n’avaient pas besoin d’une vraie musique pour leur long-métrage. J’employais une méthode très simple, je traitais le film comme un animal. Je me devais donc de l’apprivoiser, comprendre ce qu’il désirait manger. J’ai écrit la musique en fonction. Les compositeurs sérieux font de leur musique une illustration, ils suivent l’histoire. Je ne fais pas ça. Personne ne m’a demandé de travailler de cette manière, d’illustrer un moment, j’étais libre de faire une œuvre parallèle. J’espère que je l’ai bien fait, mais je ne sais pas faire du cinéma. C’était pendant la guerre, de 1991 à 1995, j’avais besoin de travail.
A Metz, où vous avez joué en aout dernier pour les fêtes de la Mirabelle, se déroule notamment le festival Passages, consacré à la culture d’Europe de l’est…
Cette curiosité pour les cultures étrangères, c’est quelque chose de très français. Tous les premiers contrats des artistes de l’est, mais aussi des artistes Africains ou Arabes, sont très souvent fait en France. Ce fut le cas par exemple pour moi. C’est une tradition française. Alors un festival de cette nature en France, oui je trouve cela normal, c’est une belle initiative !