Interview : Chapelier Fou

468509_10150610569026239_426007885_o

Cinq ans se sont écoulés depuis l’arrivée de Chapelier Fou chez le label Ici d’ailleurs, avec la sortie de son premier EP, « Darling Darling Darling » (2009)… Mais cinq ans, c’est beaucoup et bien peu au regard du chemin parcouru par le Lorrain. Quatre EPs, deux albums, plusieurs mises en musique de films, reportages, publicités (« Inside Out, épisode 1 » de JR, « Little from the fish shop » de Jan Balej, publicité Google Web Lab, collaboration avec Lab212 pour une exposition digitale au Barbican Center de Londres…) des concerts aux quatre coins du globe (Europe, Australie, Canada, Chine, Russie, Amérique du Sud…), des morceaux dans les playlists de nombreux DJs, une renommée d’ampleur internationale… Mais l’heure n’est pas encore venue de faire un bilan, aussi impressionnant soit-il, car Louis Warynski, alias le Chapelier Fou, revient avec « Deltas » son troisième album, dont le titre annonce ses ambitions : donner une dimension nouvelle à son œuvre, au delta de sa carrière peut-être ? Entretien sur sa vision personnelle de la musique en attendant de le retrouver sur sa tournée, dont les dates se trouvent à la fin de l’interview.

Bonjour Chapelier Fou ! La légende dit que tu as commencé ta carrière en samplant des citations du Chapelier Fou dans « Alice au pays des merveilles ». Est-ce bien vrai ?
Bonjour Nathalie ! Oui, c’est bien vrai. J’ai commencé à faire de la musique sur base de samples, mais je samplais différentes choses. Je prenais des extraits de musique du monde, du classique et des phrases en provenance d’autres disques à paroles. J’avais des disques avec Alice au pays des merveilles et j’ai pris des phrases, lues par la grosse voix du Chapelier Fou.

Pourquoi avoir choisi ce nom en particulier ? Ce personnage te fascine-t-il ?
D’une part, oui. Une autre raison est aussi beaucoup plus terre-à-terre. En fait, quand je faisais des disques avec des samples pour mes potes, je leur donnais des pochettes vierges. Quand j’utilisais la voix du Chapelier Fou, je mettais « Chapelier Fou » sur la pochette. C’est donc resté suite à ça.

J’ai constaté qu’il n’y avait pratiquement pas de paroles sur tes morceaux. Est-ce un choix délibéré ?
J’aime beaucoup utiliser des paroles et je prends des samples pour ça, mais les morceaux chantés c’est un vrai genre musical et ce n’est pas le mien. Je sais qu’on n’est pas habitué à des morceaux instrumentaux et j’ai des projets de morceaux chantés mais ce n’est pas la même composition. Je trouve que le morceau chanté est plus facile à réaliser. C’est un vrai challenge quand tu dois rendre une composition musicale intéressante pendant cinq minutes sans y mettre de paroles. C’est dur de trouver les bonnes variations pour faire la narration, les ruptures mais tu es nettement plus libre. Je n’aime pas le fait que c’est aujourd’hui la norme de faire des morceaux chantés.

Les titres de tes morceaux font souvent référence à des nombres ou au temps. Est-ce que ce sont deux sujets qui t’inspirent particulièrement ?
Comme tous les arts, la musique est sujette à un système de proportions, à une géométrie et à des formes. Le temps y a une grande influence, car c’est la structure du rythme. La moitié d’un morceau pour moi est constituée par le rythme. Les musiciens travaillent beaucoup sur le système métrique et la superposition des fréquences.

C’est une approche très scientifique de la musique, non ?
Oui, mais bon c’est parce que là je suis en interview et que je me détache de ma musique pour en parler, c’est normal. Pour parler de la musique il faut un certain recul. C’est ce que je fais aussi lorsque je choisis un titre pour mes morceaux. Quand je compose, la musique est spontanée et moins réfléchie.

Un des titres s’appelle « Carlotta Valdes ». Est-ce un hommage à Hitchcock ?
Je pense que c’est le personnage qui me fascine en fait. C’est l’être idéal, inatteignable et intouchable. Le personnage est hyper fort. On est tout à la recherche de la fille parfaite qui n’existe pas. On en est tous là, non ? Je pense que ce morceau rappelle aussi un peu la musique de Vertigo (dont le personnage de Carlotta Valdes est tiré, ndlr). La première partie est assez tortueuse et dramatique.

Tu as aussi appelé un morceau « Polish Lullaby ». C’est un rappel à tes origines ?
Non, ça c’est un jeu de mot un peu perso.

Bon… Si on parlait de cette pochette ? Nettement plus colorée que les précédentes, c’est voulu ?
Oui, j’avais envie de changer. Je voulais une pochette colorée qui tranche avec les précédentes. Je n’avais pas envie de faire un lien avec mes albums précédents. Je trouve que c’est réussi. Elle a un côté coloré et chaotique qui me plait bien.

 

1470389_10152245018326239_8105691764647983631_n

 

Chaotique, c’est une bonne transition pour ma question suivante. Tes titres sont très alambiqués, pour ne pas dire complexes…Un peu trop peut-être ?
J’aime bien que les gens se perdent un peu dans ma musique. Je pense que chacun retrouvera des choses qui lui sont familières lors des différentes écoutes. Ou pas ! Le temps d’un morceau, le ressenti est totalement abstrait. Il faut que cela soit intéressant et qu’il y ait du changement dans un même titre. Si c’était totalement plat ou immobile, ce serait sans intérêt.

Quand tu as composé cet album, quelle a été ton approche par rapport aux albums précédents ?
Avant j’étais seul sur scène, j’avais les choses en main. J’avais mis en place un système que j’avais conçu et dans lequel je me sentais apte à évoluer. Au bout de quelques années, j’ai eu envie de passer à autre chose.
Ici je ne me suis pas mis de limites lors de l’enregistrement, tellement que je me suis vite rendu compte que je ne pourrai plus être seul sur scène pour cette tournée. J’ai donc mis sur pied un groupe de musiciens pour m’accompagner et qui sont aussi mes amis : il y a un violoncelle, un alto, une clarinette et moi au violon.

Est-ce que tu as des idées de visuels pour tes concerts lorsque tu composes ?
Pas trop, non. Je ne pense pas au live lorsque j’écris des morceaux. D’ailleurs on ne fait pas trop de visuels ou de vidéos pour mes concerts. La première raison est le budget. Cela coûte cher et il faut investir pas mal de temps et de travail pour que cela soit vraiment bien. J’ai aussi l’impression que tout ce qui est light ou vidéo peut très vite polluer une scène. Moi quand je vais à un concert, j’ai envie de voir des musiciens jouer. La musique est suffisante en elle-même. Les visuels, il faut que ce soit bien fait. Je suis partisan d’un jeu de lumière minimaliste et efficace.

Enfin, notre question rituelle. Beatles ou Rolling Stones ? Et pourquoi?
Les Beatles. La plupart des titres des Rolling Stones sont très nuls. Je suis plus dans l’expérimentation que dans l’énergie. Les Beatles c’est pour moi un collage et c’est ce qui correspond le plus à mon approche musicale. Ma première vraie claque musicale a été Back in the U.S.S.R.. Les Beatles y ont mis le bruit d’un avion et, plus jeune, je ne comprenais pas qu’on pouvait mettre ce type de bruit dans une chanson. Les Beatles c’est ça : la liberté expérimentale que l’on ne retrouve pratiquement pas chez les Rolling Stones. A part sur le disque Their Satanic Majesties Request, qui est plus un disque digne des Beatles, un peu comme Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band.

 

 Rolling_Stones_-_Their_Satanic_Majesties_Request_-_1967_Decca_Album_cover

 

Propos recueillis par : Nathalie Barbosa

 

Les dates de ses prochains concerts ici:

10712909_10152414608506239_5300228628854896257_n

Be first to comment