Interview autour du documentaire Nouvelle Ecole – La Renaissance du Rap Français

NOUVELLE ECOLE

Le 19 décembre dernier, France Ô diffusait le documentaire Nouvelle Ecole – La Renaissance du Rap Français de Dimitri Danvidé. Un film de 50 minutes sur la scène récente du hip-hop hexagonal, avec ses codes, ses artistes de référence et le regard que portent les anciens sur cette ébullition.

Avec des interviews de Kaaris, Deen Burbigo, Dinos Punchlinovic ou encore Nekfeu de 1995, la parole est donnée à cette génération afin d’avoir un avis hétérogène sur les différents styles et attraits de chacun. De quoi permettre aux néophytes de comprendre un peu mieux les influences et motivations de ces artistes et de ce mouvement. Surtout en ces temps où le public est de plus en plus pluriel et les styles hétérogènes. Les habitués pourront en profiter pour confirmer leurs connaissances et partager, ou non, les avis énoncés. Nouvelle Ecole – La Renaissance du Rap Français dresse donc un portrait de jeunes motivés et talentueux, conscients de l’époque particulière dans laquelle ils évoluent. L’occasion pour son réalisateur, Dimitri Danvidé, de nous en dire plus sur son film et sa vision des choses sur le rap actuel.

Votre film parle de la nouvelle génération de rappeurs français, mais on retrouve certains artistes plus anciens également. C’était une volonté de départ ? Ne pas laisser la parole qu’aux jeunes ?

Ce film traite de filiation artistique, donc des passerelles qui existent entre l’ancienne et la nouvelle génération de MCs français. Je voulais des points de vue différents et tenter d’analyser toutes les différences entre ces générations.

Le passage où vous citez l’interview de Fuzati dans Brain Magazine – où il critique notamment Orelsan – m’a marqué. Il semble montrer une sorte d’aigreur pour la nouvelle scène. L’interpréteriez-vous ainsi pour certains artistes plus âgés ?Effectivement, on peut y voir une certaine aigreur, mais je ne pense pas qu’on puisse le résumer ainsi. Orelsan a, d’une certaine manière, réussi là où Fuzati à échouer. Après, peut-être que Fuzati n’avait pas envie de réussir comme Orelsan l’a fait. Les arguments de Fuzati sont intéressants, mais un gars comme Orelsan n’a pas envie de s’essuyer les pieds avant d’entrer, ni de s’excuser de son succès. Tout le paradoxe est là. Doit-on montrer pâte blanche et se faire adouber par les anciens, comme l’a fait Nekfeu, ou tout défoncer sur son passage comme l’a fait Kaaris ? Je pense que la vérité est au milieu et un jeune rappeur a tendance à faire les deux selon le succès qu’il rencontre.

Ne pensez-vous pas qu’il faudrait d’abord que l’ancienne génération accepte ce passage de flambeau pour que la nouvelle puisse s’exprimer enfin librement ?
C’est difficile à dire. L’ancienne génération n’a pas envie de passer le flambeau tout simplement parce qu’elle est encore là ! Mais de la même façon, je ne vois pas forcement les anciens cracher sur les jeunes. Dans notre film, Lino en parle très bien. Il s’intéresse à la nouvelle génération, a tel point qu’il invite des jeunes dans le clip du premier single de son nouvel opus. Mais il refuse qu’on parle, pour le moment, de nouvel age d’or, car il souligne l’absence de classique dans cette nouvelle école. Moi je pense qu’il y a eu deux ou trois albums classiques, mais effectivement ce n’est pas suffisant. Le temps nous le dira et cette nouvelle génération n’en est qu’à ses balbutiements.

Le documentaire « Un jour peut être, une autre histoire du rap français » (Romain Quirot, Antoine Jaunin et François Recordier) était focalisé sur cette scène des années 2000, qui, déjà à l’époque, apportait des sons nouveaux tout en étant en décalage avec le reste du circuit. Pensez-vous que l’histoire est faite pour se répéter, avec cette dualité entre les générations ?
J’ai beaucoup entendu parler de ce film mais je ne l’ai pas vu, car il n’est pas passé en télé. On s’est retrouvé ensemble dans des festivals, mais jamais les mêmes jours, donc ça serait difficile d’en parler en détails. Nos approches sont assez différentes. Je n’ai pas fait un film sur une scène underground, je parle de la nouvelle scène rap sans opposer les puristes et les mainstream. Je pense que c’est un combat d’arrière garde de considérer que ceux qui réussissent ont forcement vendu leurs âmes, tandis que ceux qui ne vendent pas un album sont forcement des génies incompris. C’est beaucoup plus complexe que ça et d’ailleurs, les MCs de 1995 qui sont dans les deux films et aujourd’hui ils tentent de s’éloigner de cette étiquette un peu « hype » ou avant-gardiste. Ils se considèrent comme des MCs comme les autres dans la jungle du rap game.

Le film le montre bien, l’influence du rap outre-atlantique est très importante pour le rap hexagonal. Il semble que les américains se prennent pourtant moins la tête sur le sujet des générations. Ca serait quelque chose de purement français ?
Je ne sais pas s’ils se prennent moins la tête et je n’ai pas forcement l’impression que les Français se la prennent tant que ça. La culture est totalement différente. Aux USA, le business est roi et beaucoup de jeunes qui percent sont poussés par des anciens. C’est la phrase de Jay-Z : « I put my niggas on, my niggas put they niggas on ». On s’entraide et on gagne de l’argent les uns grâce aux autres, et on évite de se mettre des bâtons dans les roues pour faire encore plus d’argent.

En France c’est très différents, surtout parce qu’il y a moins d’argent et moins de rappeurs qui gèrent leurs business, même si ca change. En off, Deen Burbigo nous disait a quel point il avait été impressionné et inspiré par le fonctionnement de Din Records de Médine, car ils fonctionnaient comme une vraie entreprise et qu’ils avaient pris des cours pour pouvoir bien gérer. L’Entourage s’est inspiré de ça et tente de tout gérer eux-mêmes. Après, au niveau artistique, c’est vrai que l’influence américaine est énorme, comme elle l’a été dans les 60s avec les yéyé qui pompaient la Motown et la soul US, donc ce n’est pas nouveau.

Pendant les scènes de concert, on voit que le public est très diversifié. C’est une aubaine pour le rap français en général non ? Quelque chose que ce nouveau rap a réussi à amener ?
Amener non, il a toujours eu un public diversifié. NTM était la coqueluche des médias et de Canal Plus, le média « bobo » par excellence. Ils ont fait une grande parti de leur renommée à Paris, donc rien de nouveau. Même si c’est vrai que j’ai été étonné par l’abondance de jeunes filles. Il n’y en avait pas autant dans les années 1990 et c’est tant mieux. Mais c’est vrai que cette nouvelle génération, de part son éclectisme, amène un public qui n’était pas forcement très rap auparavant. Mais il ne faut pas se tromper, le rap est la musique numéro 1 en France chez les jeunes. les trois plus gros vendeurs de disque en 2014 sont Gim’s, Stromae et les Daft Punk. Ce n’est pas dû au hasard, surtout dans un marché du disque qui s’effondre.

Votre documentaire le prouve, il y a une grande diversité aujourd’hui dans les styles des artistes. Le public se retrouve face à des choix différents. A lui de faire le tri. Mais n’est-ce pas aussi un piège dans lequel il ne faut pas tomber ? Une sorte de revers de la médaille ?
Un piège non, moi j’ai toujours considéré que le public n’est pas abruti. Chacun va vers sa musique. Moi je pense qu’on vit une des époques les plus diversifiées en matières de musique et pas seulement dans le hip-hop. Le choix, c’est merveilleux, mais c’est aussi un problème pour les artistes qui deviennent des produits jetables. C’est très douloureux pour eux. D’où cette boulimie de travail et ces projets qui sortent de plus en plus régulièrement. La nouvelle technologie permet à des artistes de se faire connaître sans les maisons de disques. Il y a un lien direct avec le public.

Vous évoquez les rappeurs dits de province comme Joke, Taipan ou Nemir dans le film. Pensez-vous qu’ils sont la grande force de cette nouvelle scène ? Que l’avenir se trouve dans ces artistes hors capitale ?
Encore fois, il ne faut pas être catégorique. Ils participent au côté éclectique de cette scène, mais ne la révolutionne pas. Il a beaucoup de provinciaux mais le business restent centralisé et pas que dans la musique. Tous les grands médias et institutions sont à Paris, donc les provinciaux montent, c’est normal et c’est très bien. Baladez-vous dans Paname et demandez aux gens d’où ils viennent, il n’y aura pas beaucoup de titis parisiens. Orelsan a beau venir d’Alençon, aujourd’hui c’est un parisien comme un autre.

Isleym est la seule représentante féminine du documentaire. Malgré le nouveau vent de liberté qui touche cette génération, les filles semblent encore avoir du mal à se frayer un chemin. Comment l’expliqueriez-vous ?
Je pense simplement que les jeunes filles qui ont envie de faire du rap n’ont pas beaucoup de modèles féminins en France et qu’une jeune fille talentueuse préférera s’orienter vers un autre type de musique. Même Isleym n’est vraiment une rappeuse au final. Aux USA, si il y a tellement de rappeuses c’est que la frontière entre rap et pop music est beaucoup plus ténue qu’ici. Mais ce n’est pas forcement, contrairement à l’idée préconçu, dû au machisme des rappeurs. Eux, au contraire, aimeraient avoir plus de filles avec qui travailler. Fababy dit même que s’il continue a faire de la musique aujourd’hui, c’est en partie grâce à Isleym qui l’a bien conseillé. Après, c’est, peut être, juste une question de génération.

Les interviews de Kaaris étaient intéressantes. Lui-même parle de second degré pour désigner ses textes et sa figure de rappeur hardcore. C’est ça aussi la force de cette génération ? Faire passer l’entertainment avant tout ?
Rap et entertainment ont toujours été étroitement liés. On l’a peut être un peu oublié ces dernières années, mais le hip-hop, bien qu’il soit un vecteur d’émancipation et de culture très important, n’est pas, à la base, un instrument de propagande politique. De Niro a joué les mafieux toutes sa vie et on ne lui a pas reproché, ni même catalogué, ca reste l’un des plus grands acteurs de sa génération. Si des rappeurs veulent parler de banditisme, criminalité ou autre, libre à eux, tant qu’ils le font bien. Pareil pour ceux qui veulent parler de soirée et de filles nues dans des jacuzzi, je ne vais pas aller vérifier dans leurs chambres d’hôtels s’il y a effectivement autant de filles qu’ils le prétendent.

Et puis si cette génération aime l’entertainment c’est à mettre en corrélation avec notre époque. On vit une époque pas forcement très enthousiasmante, donc peut-etre que le public a besoin de se divertir, c’est une des pistes de réflexion. Mais une chose est sur, il y a tellement de diversité dans cette génération qu’on peut vraiment écouter tous types de rap, que se soit dans le fond ou dans la forme. Et ça, je pense que c’est extrêmement positif pour la scène hip-hop française.

Article : Nathan Roux

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