Live Report : Sziget Festival – Budapest, Ile Óbudai – 6 au 13 aout 2012
Pour les amateurs de musique et de festivals d’été, le Sziget Festival représente un sorte d’Eldorado du « Rock’n’roll way of life »… les Etats-Unis ont Coachella, l’Europe a le Sziget… Mais plus qu’un grand parc d’attraction de l’Entertainment, le Sziget Festival est aussi un festival que ses habitués affectionnent parce qu’il est porteur d’une histoire, d’un contexte et d’un propos qui le rendent en quelques sortes nécessaire et pas si innocent qu’il n’y paraît.
En plein cœur d’une Hongrie rongée par le populisme et le repli identitaire, l’île d’Obudai (« l’île des étudiants ») accueille chaque année tout un melting-pot de nationalités dans un éclectisme culturel unique, où la Main Stage, à la programmation rock, côtoie la plus grande scène électro des festivals européens généralistes, une scène tsigane unique ou encore un cabaret gay-friendly… Il n’y a que dans un seul autre endroit au monde où j’ai vécu cette expérience particulière de pouvoir entendre, en déambulant dans les allées, ici de l’anglais, là quelques échos de hongrois, du français par ici, mêlé de réponses en espagnol ou en allemand… cet endroit, c’était le siège de l’ONU à Genêve…
Enfin, cette année était aussi attendue que symbolique parce que 2012 marque la 20e édition d’un festival dont la longévité et la constance sont à souligner. Et peut-être parce que les attentes étaient un peu plus marquées cette fois-ci, quelques déceptions émaillèrent une édition qui restera dans les tablettes comme une bon cru certes, mais peut-être pas à la hauteur de certaines années précédentes qui elles, furent exceptionnelles. Il faudra concéder à la crise d’avoir sûrement joué un rôle dans la baisse de fréquentation notable (surtout pendant les jours de semaine, le week-end ayant contribué à remonter les chiffres de la billetterie). Certaines économies étaient d’ailleurs assez visibles : pas d’édition de programme en anglais (essayez de vous repérer où que ce soit en ne disposant que d’un plan en hongrois, angoisse garantie), diminution des à-côtés tels que la distribution de petits cadeaux aux festivaliers, ou l’augmentation du prix de certains services sur place. Bref, c’est la crise aussi pour les plus gros festivals européens. Quant à la programmation, je reste partagée. A posteriori, il y avait peu de noms vraiment alléchants, de ceux qui peuvent être décisifs pour qu’un festivalier hésitant finisse par prendre son pass. Mais il est vrai qu’une fois sur place, les têtes d’affiches n’ont pas déçu, et certains noms qui n’avaient pas déclenché l’excitation à la lecture du programme ont finalement laissé une excellente impression. Malgré quelques (légères) déceptions, le Sziget Festival aura rempli sa principale mission : proposer des concerts de qualité dans une ambiance délirante et multiculturelle… petit tour d’horizon (très subjectif) de mes coups de cœurs et expériences plus ou moins négatives…
Les groupes indés
Cette édition fut l’occasion de voir quelques noms clés de la scène indé : leurs prestations furent parfaitement satisfaisantes. J’ai eu le plaisir de véritablement faire démarrer mon Sziget par le concert du groupe mythique dEUS, sur la scène A 38 : une façon de convoquer le public français, anglais et belge de fans inconditionnels. Tom Barman et ses acolytes nous livrèrent un concert à la fois classieux et vitaminé, où les meilleurs titres de leurs 25 années d’exercice dans le rock’n’roll côtoyèrent les plus belles tracks de leur délicieux album surprise du printemps ( Following Sea ).
Il y a une telle technique, un tel métier chez les musiciens de dEUS, que d’aucuns pourraient craindre d’assister à un de ces shows calibrés et froids dont nous gratifient parfois les groupes trop rôdés. Point de froideur ici, car c’est le rock’n’roll qui anime toujours les tripes de la formation : du brut et de l’élégance, c’est la signature incontestable de dEUS. Le Magazine Karma a eu la chance de décrocher une interview avant le show, laquelle vous sera livrée sous peu.
Nous avons pu également voir au troisième jour (le vendredi 10) l’artiste Agnes Obel, la songrwitter danoise qui s’est révélée en 2010 avec l’album Philarmonics. Son public était venu en nombre sous la tente de la A38, attendant sans conteste la prestation d’une artiste en voie de confirmation. Elle se présente sur scène avec une violoncelliste et entonne un set très calme, très mélodique. Cela tranche avec les concerts radicalement rocks que j’avais pu voir jusqu’alors.
La prestation semble très bien accueillie par une population qui contraste avec le reste des festivaliers croisés sur le Sziget, beaucoup plus border-line. En effet, pour les fans, Agnès Obel a dû combler les attentes, mais il fait avouer que l’ensemble reste légèrement ennuyeux pour les autres : rien ne se passe sur scène, l’artiste égrène ses compositions dans un sans faute technique, mais l’émotion qui m’était annoncée n’était pas au rendez-vous.
Quelques heures plus tard, l’arrivée sur la Arena du groupe de rap français, 1995, est beaucoup plus explosive. Un MC et cinq garçons survoltés débarquent et entonnent un trask-list énergique avec la foi que le rock’n’roll peine parfois, ces dernières années, à me faire vivre. Ils sont jeunes mais racés et la qualité de leurs lyrics est servie par un flow de qualité, dans lequel le ressenti n’est jamais relégué au second plan par une maîtrise trop ronflante. J’ai hâte de les voir prendre de l’ampleur et de les retrouver sur de belles scènes françaises.
Le samedi 11, j’ai eu la chance de voir Fink, un groupe magnifique, souvent croisé sur des salles intimistes européennes et que j’étais curieuse de voir en festival. Fin, ancien DJ et producteur électro de Ninja Tune a révélé un talent de songwritter et de guitariste en 2000, avec le bel album Fresh Produce. Nous nous attendions à le voir jouer assis, façon showcase acoustique : en fait nous avons eu droit à un concert électrique de belle amplitude, avec une évidente énergie rock.
La voix toujours très gospel de Fin investit l’espace de ses compositions classieuses avec l’aisance et la sensibilité qui le caractérisent. J’ai passé un moment à la hauteur de l’affection que je porte à cet artiste rare, et je ne peux qu’être reconnaissante envers le directeur de la scène A38 qui nous aura, décidément, gratifiés d’une très belle programmation sur l’ensemble du festival.
La preuve en est que le dernier jour, dimanche 12, j’y ai vu Ting Tings. Pour avoir eu l’occasion de les croiser souvent sur des scènes de festivals et des salles parisiennes, j’aurais pu ne plus en attendre grand chose, a fortiori après un deuxième album assez décevant. C’était sans compter sur l’énergie rock et résolument sexy de Katie White.
Une petite bombe blonde platine en mini short se charge d’allumer le public venu en nombre, tandis que Jules de Martino, un peu en retrait de la scène, enrobe d’une rythmique endiablée un set hyper électrique. Les meilleurs titres sont balancés sans retenus, alors que Katie se fait débarrasser de sa guitare par un roadie pour aller se jeter dans le public micro à la main, qu’elle tient d’une façon… hautement suggestive ! Comme le dirait les vieux routards du rock’n’roll, « on n’est pas là pour sucer des bâtons de glace… »
Bref, voilà pour notre sélection indie : une moisson 2012 plutôt réussie, qui ne peut que nous satisfaire d’avoir fait le déplacement jusqu’à Obudai… Maintenant, passons aux têtes d’affiches.
Les têtes d’affiche
C’est Placebo qui, le premier, ouvre la file des grosses têtes d’affiches, sur la main stage le 8 août. On était exigeants dans notre attente, parce que Placebo est tout de même un groupe dans lequel nous avions mis beaucoup d’espoirs, lesquels furent trop souvent déçus. On nous annonce le retour du groupe pour l’automne (d’où la tournée récente des festivals) : j’étais donc curieuse de savoir ce que cela donnait en 2012 sur une scène comme le Sziget. J’ai eu le plaisir de retrouver Brian Molko très en forme vocalement, Steffen Olsdal aussi charismatique que dans mes souvenirs (ondulant derrière sa basse comme une anguille), et le batteur, Steve Forrest, parfaitement à sa place désormais dans une formation qu’il a intégrée en 2008 et à laquelle il semble avoir imprimé son style.
Je suis plutôt satisfaite de réentendre en live les meilleurs morceaux d’albums un peu oubliés et qui restent pourtant les meilleurs de la discographie d’un groupe trop longtemps qualifié à tord de glam-rock. Quant aux albums plus récents, seuls les vraies belles compos sont retenues et jouées avec toute la sincérité qui s’impose aux envolées de riffs mélodiques telles que Molko seul sait les concevoir pour la scène. Dans l’ensemble, il est évident que Placebo reste un grand groupe de scène, dont on a retrouvé la fraîcheur récemment quelque peu fanée… Il reste une frustration : celle de devoir encore attendre pour entendre les nouveaux titres d’un groupe dont on ne finit pas d’attendre la renaissance.
Dans le rayon « retour gagnant » (dont il faut dire qu’il était assez largement représenté en cette édition 2012), il nous faut citer le concert assez convaincant de Stone Roses le vendredi 10 août. Le groupe mythique de Manchester n’avait plus fait parler de lui depuis les années 1990 : il revient cette année avec une tournée sincère, à l’image de cette heure et demie de pur rock’n’roll dans la tradition des « lads en baggy » tels que Ian Brown les incarne à merveille.
Ce n’est d’ailleurs pas sans plaisir que j’admire son air cabot et son chant border-line, en avant d’un groupe plein de fraîcheur. Au détour des plus grands titres de Stone Roses, joués avec classe et entrain, je me dit que Ian Brown avec son visage émacié, les traits coupés au cordeau, est vraiment devenu une légende de cette culture britannique du rock des bas fonds, dont on aimerait voir plus d’héritiers en ces temps de branchouille cérébrale à tous vas.
Le samedi 11, c’est Snoop Dog qui se charge d’incarner la tête d’affiche de la journée. Assurément, ce dernier fait le job : débarquant avec son air goguenard et ses danseuses presque à poil, il enchaîne ses meilleurs titres sans accroc, mais c’est le minimum syndical. C’est une grosse machine qui tourne, sans véritable surprise artistique et musicale, dans un état d’esprit très « star en congés d’été ».
Nous avons au moins échappé au concert reggae dont nous avions peur après ses récentes révélations sur sa conversion rasta ! Il aura malgré tout attiré un public venu en nombre et son show aura sûrement satisfait ceux qui n’avaient jamais eu l’occasion de le voir en live et qui pourront dire, désormais, « j’ai vu Snoop Dog en concert ».
J’évoquerai, pour terminer ce tour des têtes d’affiches, le concert de LMFAO qui m’a agréablement surprise, malgré mes réticences initiales. Ce n’est certes pas le groupe que nous attendions et même étions-nous en droit de redouter une prestation proche du mauvais goût et du bling facile. D’autant que le dernier album était assez peu convainquant Pourtant, il faut reconnaître qu’avec LMFAO, nous avons droit à un vrai spectacle dans le plus esprit US : ça pète, ça danse, ça part dans tous les sens avec brio et le moins qu’on puisse dire, c’est que les fans venus en masse en ont eu pour leur argent.
Nous n’avons pas eu le duo habituel sur scène, seul RedFoo était présent pour l’occasion… mais j’ai fini par être séduite par l’énergie incontestable du concert et ce côté « show calibré » ultra visuel de l’ensemble. Bref, ce n’est pas LMFAO qui m’aurait convaincue de prendre mon pass pour Sziget 2012 : mais le rôle d’un programmateur n’est-il pas aussi d’amener son public à croiser le chemin de groupes qu’il n’aurait pas eu l’idée d’aller voir autrement ?
Les deux coups de cœur de la semaine
Ni tout à faits indés, ni têtes d’affiches, Shaka Ponk et Two Door Cinema Club sont venus marquer de façon singulière une semaine pourtant foisonnante.
Le jeudi 9 août, la A38 stage accueillait Shaka Ponk, la sensation electro-pop française de l’année 2012… Le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’avaient pas l’air à bout de souffle en cette fin de tournée exaltante… Tous les ingrédients qui font leur succès étaient présents : de très bons musiciens à l’allure ultra rock et au son sans concession, frôlant parfois le métal des grandes années Metallica…. Deux chanteurs gravement sexys, enchaînant performances vocales et postures tribales sensuelles… une envie chevillée aux tripes qui ne laisse pas douter que Shaka Ponk, à défaut de nous livres des albums absolument convaincants, est un groupe de scènes épatant.
Et pour terminer, mon coup de cœur incontesté de la semaine : le trio irlandais Two Door Cinema Club. A ce moment, j’avais déjà eu la chance d’écouter en preview le tout le nouvel album, Beacon, que je savais donc de très bonne qualité (> lire notre chronique). Fan absolue de Tourist History, ce groupe est assurément dans ma top-list des groupes de cœur et les voir au Sziget était pour moi un moment attendu, tant pour la journaliste musicale que pour la passionnée de musique.
C’est un concert qui m’a comblée sur tous les plans : une track list intelligente, faisant s’alterner les meilleurs morceaux du premier album et tubes annoncés du second, une qualité vocale et musicale incontestable, une élégance de scène encore un peu jeune mais infiniment prometteuse… sans compter cette énergie démentielle qui réside dans des lignes de guitare ronronnantes à souhait et des rythmiques diablement efficaces.
Dans l’ensemble, ce fut une bonne édition du Sziget : il serait malhonnête de dire que je me suis ennuyée. Mais l’intensité attendue ne fut peut être autant au rendez-vous que je ne l’aurais souhaité. Quoi qu’il en soit, je continue de soutenir ce festival unique en son genre : car c’est bien là bas que nous pouvons vivre des expériences tout à fait singulières et improbables, rencontrer des gens étonnants, découvrir des groupes surprenants… le tout dans une ambiance internationale… Ah… si l’Europe pouvait vivre comme à Obudai, de multiculturalisme, de rock’n’roll, de bière hongroise et de sexe dans les fourrés… pardon, on n’est jamais si facilement rentrés du Sziget !
Article : Laura-Maï Gaveriaux
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