Interview : Sharon Van Etten

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La plupart des musiciens sont heureux de laisser la production à quelqu’un d’autre. Il suffit de vivre sa musique sans assurer en même temps le rôle de producteur. Mais Sharon Van Etten savait qu’il était temps de faire un disque entièrement enregistré par elle. Même si on dit que le monde appartient aux audacieux, il a fallu tempérer son audace. A cette fin, Sharon a trouvé dans le producteur de musique Stewart Lerman quelqu’un qui partageait les mêmes idées. Après avoir travaillé ensemble sur Boardwalk Empire, ils ont redéfini leurs rôles pour se retrouver finalement au studio de Lerman à New Jersey. Grâce à l’expertise de Lerman, Sharon a eu la liberté d’enregistrer Are We There comme elle l’imaginait.

Dès le début de la première chanson, Afraid of Nothing, il est clair que nous sommes témoins d’une nouvelle conscience, d’une Sharon Van Etten qui a progressé, qui écrit, produit et joue à partir d’une position qui semble presque angélique, tout en restant accessible et réelle. Les compositions de Sharon continuent d’évoluer, elles restent toujours directes et n’évitent jamais les histoires les plus personnelles et douloureuses. De nombreuses chansons parlent de décisions qui paraissent impossibles, d’anticipation et de résolutions. La tessiture dynamique de Sharon est impressionnante quand elle ravit le public avec sa voix chaleureuse et claire et ses harmonies exubérantes qui sont devenues un temps fort de ses concerts. De retour sur la route pour une série de concerts très attendue, Sharon Van Etten ravira pour une première fois ses fans à la Rockhal le 18 avril 2015.

Bonjour ! Cela fait deux ans que ta carrière a vraiment pris son envol. T’attendais-tu à un tel succès ?

Bonjour, oui les dernières années ont été vraiment très intenses et non je ne m’attendais pas du tout à ce que cela prenne une telle ampleur. En fait, j’ai l’impression des fois de perdre le contrôle de ma vie et cela me fait très peur. Cette dernière tournée, j’ai l’impression de la faire depuis dix ans. C’est un peu comme une plante qui envahit lentement tout ton jardin et qui commence à grignoter ta maison. En ce moment, je mets un peu un frein, mais c’est pour me préserver notamment.

On va revenir par la suite à tes projets pour après cette tournée, mais avant cela comment fais-tu pour gérer toute cette attention et ces sollicitations autour de toi ?

Je vois cela comme un boulot en fait. Je monte sur scène, je fais mon concert et ensuite je rentre chez moi. J’essaie de ne pas prêter attention aux choses autour de moi. J’ai des parents et des amis qui aussi m’aident à garder les pieds sur terre. Leur affection m’aide énormément. Je pense que c’est vital pour ne pas perdre la tête.

Comment le fait de partager les tournées avec Nick Cave ou The Nationals a influencé tes mises en scène ou ta façon de gérer tes tournées personnelles ?

En fait j’ai constaté notamment pour les Nationals qu’ils étaient vraiment généreux, autant avec leur public, qu’avec leur équipe et les artistes qui sont en tournée avec eux. On a partagé le même bus et mon matériel était mis en place par leur équipe pratiquement tous les soirs. Pour Nick Cave, c’était un peu différent. On n’a pas partagé le même bus mais avec lui je me suis rendue compte que même pour un artiste de son niveau, il fallait toujours bosser très dur pour rester au sommet. Nick Cave ne négligeait aucun détail, il parlait aux musiciens, repensait la setlist tous les soirs. En somme, il ne se reposait jamais sur ses lauriers. C’est un vrai bourreau de travail, il bosse vraiment très dur. Voilà ce que j’ai notamment appris grâce à ses deux tournées.

Mes concerts ont un peu grandi avec moi. Je n’ai pas d’effets de lumières grandioses ou autres effets spéciaux, car ce n’est pas moi. Je ne suis pas un sexe symbole ou une grande star de la pop ! Par contre, j’ai pris pas mal de confiance en moi depuis le début de ma carrière et je l’exploite mieux sur scène.

Est-ce que tu aimes toujours partir en tournée ?

Oui, j’aime les tournées. Tout est une question d’équilibre. Tu ne peux pas être une bonne amie, partenaire, fille, cousine, sœur quand tu es en tournée neuf mois sur douze dans l’année. J’ai conscience que je rate pas mal de choses et c’est ce qui me fait mal aujourd’hui. Je veux rattraper le temps perdu.

Maintenant on peut enfin en parler. Que comptes-tu faire donc après cette tournée ?

Je rentrerai chez moi en juillet et je vais revoir mon partenaire, mes amis, la famille. Ma sœur a eu un bébé entretemps et j’aimerais être dans ses parages. J’ai l’impression d’avoir raté sa grossesse mais je veux être une bonne tante. Je veux refaire de l’exercice et aussi manger sainement. En tournée c’est dur de manger de façon convenable ou régulière. Ensuite je vais postuler à une école. J’espère que cela va marcher car cela doit faire 15 ans que je n’ai plus mis les pieds dans une salle de classe. Je vais, bien entendu, continuer l’écriture, mais j’ai vraiment besoin d’une pause en fait. Me régénérer et me retrouver aussi.

Que comptes-tu étudier ?

J’aimerais bien étudier la psychologie et devenir psychothérapeute. La musique a toujours été ma thérapie personnelle et elle a toujours fonctionné. J’aimerais bien comprendre pourquoi et aussi aider les autres à trouver un moyen de surmonter leurs soucis.

La musique t’a toujours aidée à surmonter tous les obstacles ?

D’une façon ou d’une autre, oui. Je pense sincèrement que sans cela, je ne serai pas là aujourd’hui pour en parler. Généralement cela commence par une mélodie ou une phrase et ensuite je m’attèle à écrire et broder autour pour mes chansons. Parfois cela prend des mois, parfois une heure. Je suis de ce genre d’artiste qui écrit énormément quand cela va mal.

Tes chansons tournent très souvent autour de l’amour dans ses bons ou mauvais côtés. Je sais que cela ne se commande pas, mais si tu pouvais choisir un concept autour duquel tu ferais un album, ce serait quoi ?

Un jour, j’ai eu l’idée d’écrire une chanson après avoir terminé de lire un livre. Une idée d’album serait donc des chansons-critiques sur des livres que j’aurais lus, qui parlerait de comment je les ai trouvés et leurs effets sur moi.

Une dernière question avant de terminer : notre question rituelle. Beatles ou Rolling Stones ? Et pourquoi?

Je vais devoir choisir les Beatles. Je me sens systématiquement très nostalgique à l’écoute de leurs chansons. Je repense à mon enfance, à comment je les chantais avec mes parents, mes grands-parents, mes cousins. J’ai une connexion très profonde avec ces morceaux.

 

Propos recueillis par : Nathalie Barbosa

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