Interview : Mademoiselle K

(c) Iris Della Roca et Lou Levy

Mademoiselle K, alias Katerine Gierak, a fait trois albums de rock en français et revient désormais avec un album rock en anglais. Elle l’annonce d’ailleurs fièrement dans sa biographie : « Ma maison de disques m’a dit: « Fais ton album en français ou on te vire. »  J’ai fait mon album en anglais… ». Hungry Dirty Baby est sorti le 19 janvier 2015 en partenariat avec Rock & Folk et Oui FM. Grosse prise de risque et pari réussi pour cette guitariste rock désormais aussi bassiste de son état. Elle est en ce moment-même en tournée dans toute la France (dates de concerts en fin d’interview). N’hésitez pas à aller l’écouter, car Mademoiselle K a un caractère bien trempé mais est surtout une artiste à part entière. La preuve ici.

Bonjour Mademoiselle K ! Ou dois-je t’appeler « Miss K » désormais ?
Non, c’est gentil (rires) ! Je trouve cela d’ailleurs très moche « Miss K » !

Un album en anglais, donc, cette fois-ci. Ça t’a pris comme ça ou c’était une envie depuis très longtemps ?
C’était une envie depuis longtemps, mais je ne me suis pas sentie suffisamment prête avant pour pouvoir me lancer.

Qu’est-ce qui a fait que tu t’es sentie prête ?
Beaucoup de choses ! Ce qui m’a fait me lancer, c’était principalement une envie de changement. J’avais déjà fait trois albums en français et j’avais l’impression d’avoir fait le tour de quelque chose. Comme si j’avais fini un genre de cycle. Je ne voulais pas refaire la même chose pour ensuite repartir sur la route. J’avais plus envie de faire carrément autre chose, de me mettre en danger. Limite, j’avais envie de faire un concert en Sibérie devant 25 personnes. L’envie d’anglais a toujours été là, bien présente. J’aime beaucoup la culture anglo-saxonne, j’essaie d’ailleurs de lire en anglais le plus possible. Puis, j’ai eu l’idée de partir à New York et de m’y immerger pendant un temps. Je ne saurais pas t’expliquer comment tout ça est venu car ce sont des moments d’instinct tellement forts qu’ils sont impossibles à contrôler. Et puis, je pense que c’est un peu ça, le fait d’être artiste, c’est de se laisser porter par ses instincts. J’étais prête, donc je suis partie.

Tu es donc partie à New York et que s’est-il passé par la suite ?
Je me suis inscrite dans une école d’anglais. Je voulais me perfectionner. Je me suis imprégnée de l’atmosphère de la ville : j’ai fait des expos, je suis allée à des concerts. Puis j’ai acheté une basse. Je ne savais pas si j’étais capable de composer en anglais, mais j’ai finalement composé Someday là-bas. C’est une des dernières chansons de l’album, car, là aussi, c’est une forme de cycle. Je termine là où j’ai commencé, en somme.

Quand tu es revenue en France, tu as tout de suite chanté tes morceaux en anglais ?
J’ai joué un concert à Paris et, là aussi, j’avais envie d’autre chose et d’autres musiciens. J’avais l’impression que le changement n’avait pas été assez profond et que je n’étais pas allée au bout de ma démarche artistique en gardant mes anciens musiciens. J’avais besoin d’un nouveau batteur. Il n’y a aucune aigreur entre nous et je pense qu’il faut toujours être honnête avec les gens. Avec mon ancien groupe, nous commencions à avoir des réflexes musicaux. Nous n’avions quasiment plus besoin de nous regarder, car on savait comment chacun fonctionnait. Ce n’est pas ce que je recherche. J’aime que mes musiciens soient et demeurent libres. Dans ma tête, je ne pouvais pas faire quelque chose de différent en gardant les mêmes personnes. Les gens qui sont venus m’écouter étaient d’ailleurs tous sceptiques avant de m’entendre chanter en anglais et en trio de surcroit! Finalement les échos ont été plutôt bons. Tout ça s’est fait progressivement et étape par étape.

Le fait que tu joues de la basse a aussi dû avoir une influence sur ton nouveau choix de musiciens, n’est-ce pas ?
Absolument. Le lien basse-batterie est très fort sur scène et dans la structure d’un morceau. On a joué un concert à trois. Avec ces nouveaux morceaux, je ressentais ce besoin très fort d’avoir la basse comme appui pour ma voix. Je devais jouer et chanter à la fois.

C’est dans ta façon de faire en tant qu’artiste de toujours devoir bousculer les choses ?
J’ai toujours fonctionné comme ça. A chaque album, je bouscule les choses. Chaque album est une réaction par rapport à l’album précédent. Le fait de chanter en anglais, ce n’est vraiment pas anodin. Une autre langue, ça change la manière de chanter mais aussi la manière d’écrire.

Comprends-tu la décision de ton ancien label de ne plus te suivre parce que tu chantes en anglais justement ?
Le changement de langue est effectivement un gros changement mais finalement pas tant que ça. Je pense que ce changement a surtout eu un effet « boule de neige ». Il y a eu beaucoup de choses qui ont contribué au fait que je trace ma route. EMI est devenu Warner. Warner n’avait pas envie de me suivre dans ce nouveau projet. Je m’étais établie comme quelqu’un qui fait du rock en français et ce changement aurait impliqué un nouveau développement et de nouveaux investissements pour Warner. Cela représentait un trop gros risque pour eux, surtout après la crise du disque. Sur ce, j’ai monté mon label « Kravache », notamment grâce à des aides en provenance de l’Adami. Sans ces aides, mon disque n’aurait probablement jamais vu le jour.

Si tu compares cet album aux précédents, sans parler de la langue bien entendu, quelle est pour toi sa principale qualité ?
Je dirais sans conteste : la fraîcheur ! Il y a une certaine vibe sur cet album qui représente une vraie renaissance. Il y a eu beaucoup d’obstacles, mais c’est un vrai bonheur finalement d’avoir pu le faire. Cet album est riche de tout ça ! C’est de l’oxygène sur une galette !

Peux-tu me parler de cette pochette ? La croix cela représente quoi pour toi ?
Quand j’ai fait cette photo, j’étais en deuil. Je venais de me séparer et j’avais envie d’une nouvelle photo de moi sur Facebook, histoire de tirer un trait. A ce moment-là, j’étais un peu obsédée par les croix qui représentent pour moi un peu le deuil et la renaissance. Un pote et moi, on est allé au cimetière du Père-Lachaise où il y a toutes sortes de croix. Je ne voulais pas de croix avec un Jésus dessus. Nous sommes tombés sur ce très beau caveau avec cette porte d’un très beau bleu où la croix figurait en forme de trou. On a commencé à faire des photos où  j’étais en marcel. Mon pote m’a dit de l’enlever et de me mettre devant en croisant les bras, du style « J’assume ! ». J’ai adoré cette photo, qui fait un peu photo volée.

Photo de Raphael Lugassy

Photo de Raphael Lugassy

J’ai eu cette photo sur mon compte Facebook pendant un an. Lorsqu’il a fallu choisir une couverture pour l’album, on a eu l’idée de mettre cette photo en peinture. C’était un truc brut. A poil mais avec de l’habillage. J’aime les arts visuels et surtout la peinture, donc là c’était assez raccord avec l’album : c’était dessiné grossièrement avec de gros coups de pinceaux et de l’épaisse couche de peinture. Le deuil, le changement et la résurrection ! En plus c’était un mois après les manifs contre le mariage pour tous où un grand nombre de cathos intégristes ont repris ce symbole à leur compte. Cela me plaisait bien d’en faire quelque chose à mon image, avec mes idées.

Pochette "Hungry Dirty Baby"

Pochette « Hungry Dirty Baby »

 

En parlant de manifs, quelle est ta vision en tant qu’artiste suite aux attaques terroristes à Charlie Hebdo et en France en général ?
J’ai été choquée comme tout le monde. Ou plutôt non : j’ai été éberluée. Très vite, je me suis rendue compte à quel point ma provoc à moi ce n’était rien à côté de ce que faisaient tous les jours ces dessinateurs. Ce sont des militants. Ils n’avaient pas peur de confondre tous les types d’intégrismes et il y a encore beaucoup de boulot malheureusement. Rien ne justifie que des personnes se fassent tuer. J’ai entendu des proches parler d’eux et tous disent que c’était plus fort qu’eux. Il fallait qu’ils le fassent. Je suis bien sûr très sensible à ça en tant qu’artiste. Malgré les menaces, il fallait qu’ils le fassent. Pour faire un parallèle plutôt modeste avec ma musique, j’ai eu le même cheminement pour cet album en anglais. J’étais consciente que je prenais un risque. Je savais que je pouvais perdre ma maison de disque, que je pouvais perdre des fans, mais il fallait que je le fasse. Etouffer ce besoin, aurait été ma mort artistique. L’artiste est une éponge de son époque. Il se doit de provoquer. Je comprends donc tout à fait leurs démarches.

Pour égayer un peu cette fin d’interview, voici notre question rituelle : Si tu devais choisir entre les Beatles ou les Rolling Stones, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Je choisis David Bowie ! Il regroupe les qualités de ces deux groupes pour moi. Il a le côté un peu sauvage des Stones et le côté textes bien écrits et harmonies des Beatles. Il est totalement à part. C’est pour moi l’artiste le plus complet et j’aime le fait qu’il ne monte pas sur scène avec ses fringues de tous les jours. Chose que je fais, moi aussi.

 

Propos recueillis par : Nathalie Barbosa

Mademoiselle K est en tournée dans toute la France à partir de février 2015:

05/02/2015 – Hérouville-Saint Clair (14) – Big Bang Café
06/02/2015 – Boulogne Sur Mer (62) – Espace de la Faiencerie

07/02/2015 – Beauvais (60) – L’Ouvre Boite
13/02/2015 – Rouen (76) – Le 106

14/02/2015 – Lille (59) – L’Aéronef

24/02/2015 – Toulouse (31) – Le Bikini

25/02/2105 – Montpellier (31) – Victoire 2

26/02/2015 – Lyon (69) – Le Transbordeur

27/02/2015 – Marseille (13) – Le Moulin

05/03/2015 – Rennes (35) – L’Etage

07/03/2015 – Ris Orangis (91) – Le Plan

12/03/2015 – Bordeaux (33) – Rock School Barbey

13/03/2015 – Limoges (87) – Ccm John Lennon

27/03/2015 – Villeneuve La Garenne (92) – Virtuoz Club

28/03/2015 – Poligny (39) – Le Moulin de Brainans

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