Rencontre avec Mark Jansen, le guitariste et fondateur du groupe de metal hollandais Epica, programmé au Sonisphere Festival France 2013. L’interview commença avec humour autour d’un faux entretien d’embauche, Mark souhaitant être embauché par le Sonisphere. Nous avons malheureusement du interrompre l’interview avant son terme, afin de retrouver la formation Children of Bodom.
Le nom de notre magazine, c’est Karma. C’est assez marrant parce que c’est aussi le nom de la première chanson de Requiem for the Indifferent, votre dernier album sorti l’an dernier. Comment vous avez choisi ce nom ?
Cette chanson traite du concept du karma, justement. On s’est quand même posé la question parce que le groupe Kamelot a un album qui s’appelle Karma, mais bon, ils ont aussi appelé un de leurs albums Epica et on était là avant ! (rires) On a essayé de trouver un autre nom, mais rien ne collait à la chanson, du coup on s’est dit « allez, on s’en fiche, on le fait quand même ». C’est un titre accrocheur, les gens s’en souviennent ! Et c’est aussi un beau thème philosophique.
A propos du nouvel album, il est un peu plus « hard » que les précédents…
Je crois que cet album est écrit de façon plus complexe que les précédents, on a plus d’éléments progressifs. Dans les disques précédents il y avait une continuité, ce que tu avais raté dans l’album précédent, tu pouvais le retrouver musicalement dans celui qui suit. Là effectivement, on a changé beaucoup de choses, c’est un album qu’on avait besoin de faire et je suis très content qu’il ait abouti. Par contre on a remarqué que certains fans avaient du mal à l’appréhender, on a vu des critiques qui disaient qu’ils avaient dû l’écouter dix ou vingt fois pour vraiment se mettre dedans. On a pris ça en compte, du coup maintenant on travaille sur des chansons qui sont davantage construites comme on le faisait avant, on remet la mélodie au centre de notre travail. Du coup on est très contents d’avoir pu faire cet album, qui est très différent, parce que c’est un but qu’on s’était fixé, mais on écoute notre public aussi.
Vous travaillez déjà sur le suivant ?
Ouais ! On travaille comme des fous d’ailleurs. On a déjà écrit 16 ou 17 chansons. On va retravailler la base musicale et écrire les paroles et ensuite on verra celles qui restent pour l’album. Mais ça se présente très bien, je suis très content de la forme que ça prend. Je pense que les fans qui ont eu du mal à se faire à Requiem for the indifferent apprécieront davantage le prochain album. On se retrouve à utiliser des éléments des albums plus anciens, c’est, je pense, ce qui a manqué au public.
Tu parles des fans, est-ce que vous utilisez les réseaux sociaux pour savoir ce qu’ils pensent de ce que vous produisez ?
Oui, complètement ! On écoute ce que les fans ont à dire. S’ils nous disent « on préfère Epica sur telle ou telle chanson », alors on y fait attention. Evidemment je ne base pas ma façon d’écrire des chansons uniquement sur ce que pensent les gens, mais ça nous donne une bonne idée de ce qu’aime notre public. Je n’écris pas seulement pour moi, j’écris de la musique pour la partager avec des gens.
Et les critiques presse, ça a le même poids pour vous ?
Non, vraiment pas, ce qui est important pour nous c’est l’avis des fans. Imagine que la presse encense ton nouvel album, mais que personne ne l’achète ? C’est que ça ne convient pas à ton public, peu importe l’avis d’un seul critique. Et à l’inverse, les magazines peuvent descendre un album alors que les fans l’adorent. Le mieux c’est quand les fans ET la presse adorent. C’est toujours ce qu’on espère. (rires)
L’univers d’Epica est très dense, il donne l’impression que vous avez des inspirations assez variées. Côté littérature, jeux vidéos, beaucoup de domaines… Vous avez des influences de ce genre ?
Même si ça peut sonner très « fantasy » quand j’écris, c’est toujours basé sur des choses qui peuvent réellement arriver. Je parle beaucoup de sciences, la physique quantique, c’est quelque chose qui me fascine. Les choses qui peuvent arriver à une échelle plus petite, qui se produisent d’une façon si différente de ce que nous sommes habitués à voir.
Tu lis des livres de physique quantique ?
Ouais ! C’est vraiment fascinant. Si je n’avais pas été musicien j’aurais clairement étudié les sciences. Il y a tellement de choses à apprendre et à découvrir. Même si je ne suis plus à la fac, j’ai aussi commencé à étudier la psychologie de mon côté. Si tu es motivé et que tu lis beaucoup, c’est tout aussi intéressant. En fait les chansons que j’écris sont toujours influencées par ce que je lis au moment où je les écris.
Et pour la musique ? Tu continues aussi à étudier tous les jours ?
Bien sûr, la musique c’est un apprentissage permanent. En tant que jeune musicien, tu as l’influence de ce qui s’est fait avant, c’est un peu le risque. Parce que tout ce que tu as fait dans le passé, tu peux tout simplement le répéter et t’en tenir là, mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans ce piège. Il ne faut pas avoir de limites.
On sent aussi que tu as des influences classiques.
Je n’ai jamais appris la musique avec un prof. J’ai commencé à jouer par moi-même quand j’avais quinze ans, mais effectivement, j’écoutais de la musique classique à ce moment-là. Ça me paraissait très naturel de mélanger musique classique et metal, pour moi ça coulait de source. Quand j’écoutais Megadeth, je me demandais « à quoi ça ressemblerait avec un orchestre ? ». Ensuite quand tu t’améliores, tu peux essayer ça de ton côté, et c’est génial de tester des choses comme ça.
Et tu t’es mis à ce style-là tout seul, du coup ?
Ouais ! Je crois que c’est important d’essayer de créer sa propre musique. Si on apprend les règles avant même de commencer, on se sent vite oppressé par ça. Je préfère me dire « je vais essayer ça », et me rendre compte par moi-même que j’ai fait une grosse connerie et que ça ne rend rien. On peut faire des choses qui vont à l’encontre des règles, mais qui fonctionnent quand même. Il y a une fois où j’ai travaillé avec un producteur, Oscar Holleman, et il m’a dit qu’il n’y avait qu’une seule règle : ça sonne bien, ou ça sonne mal. Et c’est vrai ! Si ça sonne bien, vas-y, même si ça ne suit pas ce qui se fait habituellement.
Tu dis que tu aimes apprendre, qu’est ce qui t’a fait choisir la musique plutôt que de continuer des études ?
Parce que la musique c’est vraiment ma passion. Quand j’étais gamin j’adorais déjà la musique, j’aimais aussi le sport, alors j’avais trois possibilités : faire des études, essayer de devenir cycliste professionnel, mais ça s’est rayé de ma liste quand j’ai eu une blessure en tombant de vélo, et la troisième, c’était de faire de la musique. Quand j’ai eu cette blessure, j’ai arrêté le vélo et je me suis concentré à fond sur la musique. Je n’ai pas lâché mon rêve de faire des études, parce que je veux les terminer tout de même, mais la musique s’est imposée d’elle-même, c’est vraiment ce que je voulais faire de ma vie.
Est-ce qu’il y a une partie de ta vie qui te déplaît ?
Oui. Les aéroports. (rires) Je déteste les aéroports !
C’est pour ça que vous jouez en France, c’est plus près ?
Ouais ! On peut venir en voiture ! (rires) Là on est venus en bus. Il y a deux jours on a joué à Dubai, ça m’a rendu fou, on a du prendre une correspondance en Turquie, encore un aéroport… On est arrivés à Dubai, on a joué, et juste après le concert on est retourné à l’aéroport. Pas le temps de dormir, on s’envole vers la Turquie, ENCORE un aéroport, et on retourne à la maison, ensuite on reprend le bus et on arrive ici. J’ai un peu dormi dans le bus quand même. C’est mieux, parce que je suis un peu reposé au moins. T’as même pas le temps de dormir dans l’avion.
Tu parles d’essayer de nouvelles choses, c’est dans cette optique que tu as fondé Mayan (side project de Mark Jansen ndlr) ?
Oui, c’est exactement pour ça. Quand tu fais quelque chose pendant longtemps, tu as toujours le risque de finir par t’ennuyer, de t’enfermer dans un style. Je ne me suis encore jamais ennuyé avec Epica mais c’est une espèce de mesure de sécurité, disons. J’avais besoin d’essayer de faire des choses complètement différentes. Ca me permet de faire vivre des idées qui n’iraient pas avec Epica. J’ai une manière complètement différente d’appréhender les choses avec Mayan, la façon d’écrire est différente, la façon de jouer… C’est génial d’avoir deux projets aussi différents d’ailleurs, c’est vraiment jouissif.
Vous en avez pas marre d’être comparés à Within Temptation ?
Oh, tu sais, tous les groupes sont comparés à d’autres. Megadeth est tout le temps comparé à Metallica, je sais que ça doit les emmerder aussi.
Ça t’emmerde alors ?
D’une certaine manière, ouais, un peu. Parce que j’estime que ce qu’on fait aujourd’hui est vraiment très différent de leur musique, c’est plus folk que metal. Quand des gens nous comparent à Within Temptation, je me dis qu’à la base, oui, c’était justifié. Mais aujourd’hui, plus vraiment, ils devraient nous comparer à des groupes qui jouent des choses qui ressemblent à notre style actuel. Comme After Forever. C’est con qu’ils ne nous comparent pas à After Forever parce que bon, j’ai un peu la même voix que leur chanteur ! (rires) (Mark Jansen était chanteur d’After Forever, NdlT)
Il y a eu une mode des groupes de metal à chanteuses, à l’époque, tout le monde les comparait, que ce soit Nightwish, Within Temptation… Vous faisiez partie de ces groupes-là. C’était volontaire, de surfer sur cette vague ?
(rires) Vraiment pas, j’ai commencé à faire cette musique quand j’avais 16 ans, c’était loin d’être la mode, crois-moi ! Ça existait, mais c’était pas populaire, ça commençait tout juste. J’y avais pas réfléchi dans le sens-là, c’était pas un choix de style pour être cool. Quand j’ai découvert ça, c’était nouveau et intéressant, ça m’a motivé pour aller dans un certain sens de mon côté. Quand j’ai quitté After Forever et commencé avec Epica, j’ai eu envie de développer ce style que j’avais laissé de côté entre temps. Ce style m’a touché quand il en était encore à ses débuts, en fait.
Nous devons écourter l’interview. On passe directement à notre question rituelle et donc finale : Beatles ou Rolling Stones ?
(rires) Vous demandez ça à tout le monde ? Alors… Ah, c’est une question difficile ! Il y a quelques années j’aurais dit Rolling Stones sans hésiter. Mais depuis quelques temps je m’intéresse aux Beatles, et là j’ai envie de répondre les Beatles, parce que la façon dont ils écrivent leurs chansons est plus intéressante de mon point de vue.
Propos recueillis par Guillaume Hann & Ugo Schimizzi
Transcription : Marine Pellarin