C’était la première grosse date du Festival Freeeeze, organisé par Boumchaka. Pleine de promesses et véritable défi pour l’équipe, elle allait permettre à l’association de franchir une étape supplémentaire. Pour cela, les américains de Mobb Deep venaient spécialement de New-York pour se produire à l’Autre Canal de Nancy. Le samedi 31 janvier, la Lorraine avait quelque chose de hip-hop.
Et pas qu’un peu. Actifs depuis vingt ans, Prodigy et Havoc sont aujourd’hui des piliers du rap outre-atlantique. Avec de nombreux albums considérés comme des classiques et des morceaux passés à la postérité, la venue pour une date unique en France de ces deux MCs avait de quoi créer la sensation. Et le public ne s’y est pas trompé ; la grande salle était remplie pour accueillir les rappeurs tout juste descendus de l’avion le matin-même. Et l’horaire tardif de leur passage n’a en rien découragé les fans, au contraire.
Si les deux Américains jouaient après minuit passé, c’est parce que le festival proposait un autre show avant de passer à la tête d’affiche. Toujours dans un esprit hip-hop et de quoi permettre à Mobb Deep de se remettre du jet lag. Dès 20h, le Club de l’Autre Canal proposait le Beat Box All Stars, compétition de cette discipline trop méconnue à côté du rap ou de la danse, qu’est le human beatboxing. Monté par le champion belge de la discipline, Primitiv, et Freeeeze, ce spectacle accueille huit des plus grands spécialistes venant des quatre coins d’Europe. Avec par exemple Big Ben (Belgique), Oliveira (Portugal) ou encore Scorch (Irlande). Les participants possèdent six minutes pour produire un set à leur convenance, devant un jury constitué de pointures du milieu comme Wawad (champion de France), Hobbit (vice-champion d’Angleterre) et le triple champion DMC, DJ Netik. Avec le hip-hop qui évolue, toujours plus porté par l’électro et des sonorités synthétiques, les beatboxers ont suivi le mouvement et il est intéressant de voir que leurs prestations se rapprochent plus de la dubstep, de la trap music. Avec une intention particulière au rythme lent et aux notes très basses, quitte à réussir à faire trembler le sol comme de véritables basses. Ce qui n’empêche pas ces artistes de produire de véritables instrus au dessus des 90 décibels. Après avoir sélectionné quatre finalistes, c’est le français Efaybee qui sort vainqueur de ce concours. Primitiv peut se réjouir, le Beat Box All Stars est une réussite une nouvelle fois et prouve bien que le human beatboxing est une discipline à l’ambiance assurée et au respect entre participants très appréciable.
Pendant que les derniers curieux finissent leur initiation à la musique M.A.O avec Cadillac dans la grande salle, les gens commencent à arriver rapidement, signe que la performance des Infamous n’est pas loin. Pour faire patienter toutes ces personnes et chauffer les esprits, ce même Cadillac, seule sur scène avec son matériel, envoie des titres purement rap et tous plus classiques les uns que les autres. L’effet est garanti et rapidement la foule reprend ensemble ces morceaux phares. Un échauffement bienvenu, tant Mobb Deep, accompagné du célèbre producteur Ski Beatz, va jouer la carte de la nostalgie avec des morceaux en majorité tirés de leur deuxième album sorti en 1995, The Infamous et Hell On Earth, sorti un an plus tard. Deux albums proches du Saint Graal pour tout amateur qui se respecte. Des amateurs qui reconnaissent d’ailleurs sans peine les tubesques Survival of the Fittest, Eye for an Eye (Your Beef is Mine), Quiet Storm ou encore Right Back at You.
L’expérience des deux rappeurs se voit d’entrée, et aucun signe de lassitude à signaler en les entendant rapper ces titres connus de tous. Les partenaires étonnent même lorsqu’ils reprennent des morceaux moins connus de leur album comme l’intro The Start of Your Ending ou Temperature’s Rising. D’ailleurs, la première partie du concert est presque entièrement consacrée à leur célèbre deuxième album, à tel point que l’on se demande s’ils ne vont pas le faire en intégralité. Puis, la donne change vers la fin avec des morceaux tirés de leur nouvel album sorti l’an passé ou d’un autre tiré du répertoire du poids lourd Kool G Rap. Ils prennent même le temps à un moment de rendre hommage aux rappeurs qui ont quitté ce monde et la musique trop tôt comme 2Pac, Biggie, Eazy-E et ODB. Si la communication avec le public n’est pas leur fort ce soir là, on sent quand même qu’ils ne souhaitent pas bâcler ce concert et donnent tout de même une performance respectable. Sans un jeu scénique fou, leur charisme et leur prestance font le travail, comme leurs titres phares, qui voient le public les reprendre en choeur, totalement en roue libre. Inutile d’expliquer la liesse qui s’empare de la foule lorsque les premières notes de Shook One Pt II résonnent dans la salle, marquant à la fois la fin imminente du show. Toute la pièce reprend ensemble, les mains levées, le refrain célèbre, ce qui permet de voir que Mobb Deep sont bel et bien venus dans l’Est comme des patrons.
Si la durée d’une heure de concert peut sembler un peu courte, voir en live des artistes de cette trempe, de si près et dans l’Est – région souvent boudée par les gros noms du rap américain – cela a de quoi faire relativiser. Surtout que pendant quelques minutes, alors que les lumières sont rallumées, les deux en ont profité pour signer quelques autographes aux quelques chanceux proches de la scène. Avec une salle aussi remplie et l’enthousiasme qui semblait se lire sur les visages après le concert, ce défi de faire venir un tel groupe semble avoir fonctionné pour Boumchaka. Une bonne nouvelle pour la prochaine grosse date du Festival Freeeeze, à savoir la venue de Yasiin Bey (aka Mos Def) le 7 février à la BAM.
Les amateurs d’ambiances noires et de gangsters allaient encore avoir de quoi durer jusqu’au bout de la nuit, avec le mystérieux et masqué ƱZ. Grandement inspiré par la trap music, le nouveau courant principal du rap actuel et par l’électro la plus lourde et grasse possible, le beatmaker, seul avec ses platines, sort les grands moyens. A base de basses très lourdes et de BPM assez lents, il joue avec le public en lui servant des drops efficaces au possible. Plongée dans le noir avec juste des lumières froides et la silhouette du producteur sur scène, la salle se transforme en un endroit lugubre à l’ambiance électrique. Accompagné d’un écran géant diffusant des images épileptiques et à sa propre gloire, ƱZ maîtrise son sujet et joue à fond l’imagerie gangster et clinquante du rap pour l’incorporer à sa musique. Pour les plus courageux, DJ Netik était de retour pour clore la soirée avec son talent indiscutable derrière les platines et dans la sélection de morceaux éclectiques et géniaux.
Seul, Mos Def à la BAM le samedi 7 février aura fort à faire pour faire de cette soirée à Metz un moment inoubliable. Mais connaissant le talent immense du personnage, son hétérogénéité à toute épreuve et son charisme indiscutable, il ne fait aucun doute que ce soir inscrira encore un peu plus Boumchaka dans la cour des grandes des associations organisatrices de concerts. En espérant que la venue de Mobb Deep et du natif de Brooklyn attireront bientôt d’autres mastodontes du milieu, pour la joie du public lorrain.
Auteur : Nathan Roux
Photo : Eric Thomas