Ce mercredi 7 février, les portes du Zénith de Nancy se sont ouvertes sur la Russie et l’un des spectacles les plus emblématiques du pays. Et ma foi, c’était époustouflant.
Reprenons depuis le début, pour ceux qui n’ont pas été très attentifs à leurs cours d’histoire de la danse slave. Le ballet Moïsseïev, qu’est ce que c’est déjà, hm ? C’est un spectacle imaginé par Igor Moïsseïev, l’un des plus grands chorégraphes du XXe siècle, qui mêle danse folklorique russe, techniques du ballet classique et influences culturelles du monde entier. Notre ami Igor, qui a imaginé lui-même ce style hors-normes, a dirigé sa troupe jusqu’à sa mort en 2007. De quoi forcer l’admiration et attirer la curiosité. Surtout quand on sait que ce grand fou est décédé à l’âge très respectable de 101 ans. C’est ce que j’appelle de la dévotion.
Le génie reconnu et passionné a passé la main à l’une de ses anciennes élèves, Elena Sherbakova, qui dirige aujourd’hui la troupe en prenant soin de garder l’âme du spectacle intact. Spectacle que le Zénith de Nancy a eu le plaisir d’accueillir en ses murs, un évènement exceptionnel en province qui a attiré connaisseurs et néophytes. Et soyons honnêtes, néophyte je suis, et ma curiosité a été plus que satisfaite.
Le spectacle se compose de 14 ballets, et si vous imaginez des gens accroupis lancer une jambe plus haut que leur tête pendant une heure trente, je vais devoir vous détromper. Bien sûr, la plupart des ballets mettent en scène des pas de danse folklorique que nous imageons tous plus ou moins, mais l’exécution impressionnante et la diversité des chorégraphies font la qualité du spectacle. Ce sont de véritables tableaux qui s’enchaînent, fêtes populaires endiablées, scènes de combat théâtrales, danses tziganes envoûtantes… Les surprises se multiplient, les couleurs chatoyantes des costumes virevoltent. On plonge facilement dans l’univers de Moïsseïev, dont la narrativité est parfaitement accessible, sympathique et vivante. C’est toute la culture russe qui s’étale sous nos yeux, comme un film charmant et plein de rebondissements.
La troupe fait preuve d’une énergie incroyable, et le naturel des chorégraphies n’enlève rien à leur complexité. On sent beaucoup de maîtrise technique, mais on se laisse aussi aller au jeu des émotions. De la joie qui nous arrache des sourires lors des scènes de bal populaire, ravis de cette insouciance si parfaitement chorégraphiée. Des frissons lors des scènes militaires, qui miment l’attaque à cheval ou des fusillades… Et beaucoup de rires devant l’incongruité de certains ballets, à commencer par la fabuleuse « Lutte des deux gamins » où un seul danseur, mains et pieds au sol, engoncé dans un costume qui image deux enfants se tenant aux épaules, mime une lutte acharnée et comique qui a leurré bien des spectateurs.
Car le ballet Moïsseïev, c’est aussi de fabuleuses trouvailles visuelles. Si la scène est vide de tout décor, c’est bien pour mettre en valeur l’incroyable talent des danseurs et l’originalité des pas. Lors du ballet « Les Partisans », qui narre les aventures des éclaireurs du Caucase attendant une attaque nazie, les danseurs, enveloppés de longues capes noires, semblent littéralement glisser sur scène. La prouesse a soulevé un vent de murmures incrédules dans la salle et les spéculations incluant skate-boards et trottinettes sont allées bon train avant que les capes ne tombent, ne révélant aucune supercherie. Juste une trouvaille visuelle maîtrisée à l’extrême, parmi tant d’autres qui ont ponctué le spectacle et ébahi le public. Ces illusions d’optique incroyables reviennent dans « Un jour sur un navire », ballet hilarant inspiré de Broadway, qui narre les aventures d’un marin indiscipliné évitant avec beaucoup d’ingéniosité les corvées données par son chef. La masse des danseurs en rang image la machinerie du bateau, et la synchronisation bluffante des pas mimant rouages et pistons a déclenché des applaudissements spontanés au moindre mouvement. Moïsseïev se joue de nos sens, on ne croit littéralement plus ce que nos yeux nous montrent, et c’est délectable.
Alors, le ballet Moïsseïev, « juste » de la danse folklorique ? Certainement pas ! C’est un véritable spectacle mêlant une technique irréprochable, histoire russe, mime, théâtre et magie. L’univers du chorégraphe, un peu fou, résolument charmant, met en valeur des danseurs au talent indéniable, même si peu respectueux de la gravité et de la physique en général. En sortant du Zénith de Nancy, on a comme envie de remercier les responsables de la soirée, et surtout, de se plonger dans la culture russe traditionnelle pour prolonger l’expérience. Encore !
Article : Marine Pellarin