Une fois n’est pas coutume, nous avions déjà eu l’occasion d’organiser une interview avec des artistes à New York. (à relire dans notre numéro 3, notre interview de Lynyrd Skynyrd faite par notre envoyé spécial à New York ici). Je me suis dit que Guillaume, l’envoyé spécial donc, n’était pas le seul à pouvoir parler avec des stars à New York et me voici donc dans la Grande Pomme par -16 degrés dehors et un vent à vous arracher le visage. J’ai rendez-vous dans un immeuble sur Irving Place, où j’ai l’occasion privilégiée de parler avec Sterling Campbell. Qui est-il me direz-vous ? Un tour sur Wikipédia répondra rapidement à la question : « Sterling Campbell est un musicien américain né le 3 mai 1964 à New York en États-Unis. Il était principalement connu pour être le batteur du groupe pop rock Duran Duran de 1988 à 1991, membre du groupe rock alternatif Soul Asylum de 1992 à 1998, il a également travaillé avec de nombreux actes de grande envergure avec Duran Duran, Soul Asylum, Cyndi Lauper, The B-52′s, David Bowie, David Byrne, Tina Turner et Gustavo Cerati. ».
Il arrive enfin, aussi transi de froid que moi, ça me rassure, et me fait entrer dans l’immeuble, apparemment rempli de bureaux. L’ascenseur s’arrête à un étage et s’ouvre sur un appartement de 150 m2 aménagé en studio d’enregistrement. Il me fait le tour du propriétaire et m’explique que ce studio appartient à une coopérative de musiciens. Ils l’utilisent pour enregistrer, répéter, tester, s’amuser ou juste pour discuter. Confortablement installés dans un canapé moelleux, nous voilà lancés.
Raconte-moi comment tu en es venu à jouer de la batterie !
J’ai commencé à jouer de la musique chez moi, car mes frères écoutaient tous les types de musiques, comme le RnB ou encore les débuts du rock ou le disco dans les années 1970. Il y avait des vagues d’artistes chez nous comme ça. Je me souviens avoir entendu les Beatles, Elton John, etc.. Bizarrement, j’ai tout de suite gravité vers la batterie. Ma maman me voyait taper sur des choses toute la journée, je créais des rythmes et j’adorais ça. Je commençais même à être connu pour ça dans tout le voisinage. Pour Noël, ma maman m’a acheté mon tout premier Drum Kit. Cela m’a permis de me distinguer de mes 4 frères, car je suis le cadet d’une grande fratrie.
Tes frères n’ont donc pas fait le même choix de carrière que toi ?
Non, mes frères n’ont pas suivi le même chemin que moi et c’est dommage, car ils sont très doués. Pour certains morceaux, ils ne connaissent pas seulement les paroles ou la mélodie, ils connaissent chaque détail : les cuivres, la batterie… tout quoi ! J’ai appris ça grâce à eux. Je suis devenu un auditeur concentré et assidu. Je ne suis pas quelqu’un qui lit la musique mais j’apprends principalement en écoutant. Ecouter permet de mieux interpréter selon moi, car tu entends l’intention de l’artiste, ce qui n’est pas le cas sur le papier à musique.
Tu as tout de suite commencé à jouer du rock ?
Au début, j’ai commencé par le jazz-fusion. Je n’ai jamais vraiment voulu être joueur de jazz-fusion, mais c’était un bon enseignement pour commencer et surtout apprendre à écouter : les rythmes, les émotions… tout y est ! Très vite, quand j’ai commencé à bien maitriser la batterie, j’avais envie de jouer comme les stars des années 1970, car c’était le style que j’adorais écouter. J’ai toujours aimé les artistes anglais, donc après le jazz-fusion, je me suis rabattu assez rapidement sur le hard rock.
Comment es-tu devenu fan de David Bowie ?
Je pense que je suis vraiment devenu fan, quand je l’ai vu jouer un concert à New York en 1978. C’était les débuts de « Heroes » et la fin de « Ziggy Stardust » et de « Station to Station ». C’était un peu par hasard en fait. Le batteur de Bowie habitait dans le même immeuble que moi à New York et un jour je l’ai croisé au bas des escaliers à l’entrée et il avait tout son matériel qu’il était en train de tout mettre dans une camionnette. Je l’ai aidé à tout caser et je lui ai demandé où il allait jouer. Il m’a répondu « Madison Square Garden avec David Bowie » et ensuite, pour me remercier, il m’a demandé si je voulais des tickets. Je n’y avais jamais été mais pour moi ce lieu, c’était la Mecque de la musique à l’époque ! Toutes les grandes stars devaient y jouer ! Je n’ai donc pas hésité une seconde et je suis allé le voir. C’était mon premier concert où je suis allé seul et c’était David Bowie à son apogée !
Qu’est-ce qui le rend cette période de la fin des années 1970 si unique selon toi ?
Je pense que le timing était parfait. Tous les ingrédients étaient présents pour créer des superstars dans les années 1970. Ce sont pour la plupart des enfants post Seconde Guerre Mondiale, je pense ici à David Bowie, les Stones, ou même The Who. Tous ont sûrement encore des souvenirs liés à la guerre et au fait qu’ils devaient se mettre à l’abri des bombes. Après, arrivés à un certain âge, le rock’n’roll frappe à leur porte dans sa forme la plus pure avec Little Richard, Elvis, Chuck Berry et le blues ! Forcément quand tu mets tous ces facteurs ensemble, ça donne des mélanges explosifs. Malheureusement tous les groupes de musique qui font du rock’n’roll ne peuvent pas ressentir les mêmes émotions et donc faire la même qualité en matière de musique.
Comment as-tu décroché ta première tournée mondiale, qui était avec Cyndi Lauper ?
Je pense que c’est un joyeux accident. J’avais le bon âge, je sortais de l’école, mais surtout j’étais au bon endroit au bon moment. J’ai eu la chance d’être à New York au début des années 1980 et c’était l’endroit où il fallait être pour les musiciens à cette époque. J’ai commencé à jouer dans différents groupes. Pendant un moment je jouais dans 4-5 groupes différents en même temps. Un soir le bassiste de Cyndi Lauper est venu me voir à un de mes concerts et il m’a convaincu de participer à une audition pour sa tournée. A l’époque, j’admirais Peter Gabriel et David Bowie, donc je suis allé à l’audition à reculons en fait. Pour moi, Cyndi Lauper, c’était juste « Girls Just Want to Have Fun» et rien d’autre. Je n’écoutais pas du tout ce qu’elle faisait. A la fin de l’audition, le manager de Cyndi est venu me voir et m’a dit qu’elle m’aimait beaucoup et qu’elle souhaiterait m’avoir pour sa tournée mondiale. J’ai répondu que je ne savais pas si j’avais envie de le faire. Je n’oublierai jamais le visage du manager qui s’est décomposé. Il faut remettre dans le contexte qu’à l’époque Cyndi était au même niveau que Madonna d’un point de vue popularité. Et pour un musicien de se faire offrir comme ça une tournée mondiale sur un plateau, ce n’était pas rien ! Je ne le réalisais pas du tout. Finalement, j’ai fini par accepter et c’était la meilleure décision de ma vie, car cette tournée m’a apporté un véritable coup de projecteur et a lancé ma carrière professionnelle.
Que s’est-il passé par la suite ? Es-tu tombé dans les travers de la drogue ?
Après Cyndi, tout s’est accéléré pour moi. Ça m’a ouvert toutes les portes. Les filles étaient faciles et j’avais accès à toutes les drogues, l’alcool, la bouffe. Du jour au lendemain, tout le monde est gentil avec toi. Oui, j’ai pris pas mal de drogues mais j’ai tout arrêté depuis. Le Falun Gong (ndlr : est sorte de gymnastique traditionnelle chinoise et une science de la respiration) m’y a beaucoup aidé.
Aujourd’hui les drogues sur les tournées ont beaucoup été remplacées par le narcissisme. Tout le monde se balade avec son portable et ne peut pas faire un truc sans devoir le poster sur les réseaux sociaux. La drogue c’était aussi très souvent pour être mieux dans sa peau et pour retrouver une certaine confiance en soi. Aujourd’hui c’est internet, la drogue à la mode. Et tout le monde en redemande.
As-tu des enfants et font-ils de la musique ?
J’ai deux beaux-fils et ils ont 14 et 16 ans. L’un d’eux essaie de percer dans la musique et je l’aide du mieux que je peux. Il est musicien aussi, mais je pense que c’est plus facile de nos jours quand tu es DJ. C’est la génération actuelle qui dicte comment on écoute et comment on consomme de la musique et les DJs leur appartiennent d’une certaine façon.
Tu n’es pas « que » musicien, tu es aussi compositeur. As-tu aussi des projets personnels sur lesquels tu travailles ?
Oui, je compose et j’ai des projets personnels, malheureusement c’est un peu comme tout : je n’avance pas beaucoup car cela prend énormément d’énergie. Et puis, mon premier objectif tous les mois c’est d’abord de payer le loyer, donc je fais des tournées et je joue en studio si on me le demande et je fais de mon mieux pour tout combiner. Un jour peut-être j’arriverais à sortir un projet à moi, mais je ne suis plus aussi ambitieux que je l’étais étant plus jeune. Je coécris aussi pour les autres. J’ai coécrit par exemple quelques morceaux sur l’album de David Bowie appelé « Outside » et j’ai beaucoup coécrit pour les Duran Duran. Je suis du style à écrire comme Bowie, mais en moins extrême. J’entends un sifflement, un truc qui m’inspire et je peux en faire une chanson en brodant autour. Les Beatles étaient comme ça aussi, rien n’était prémédité.
A vrai dire, j’ai aussi un peu peur de sortir mes compositions après avoir bossé avec toutes ces pointures. De temps en temps, je demandais à Bowie : « Mais comment as-tu trouvé cette mélodie ou cette idée de chanson ? ». Il me répondait des trucs improbables du style : « Ça vient d’un morceau de Billie Holiday que j’ai retravaillé un peu… ». Cela rendait la chose dingue et très mystérieuse ! C’était à l’opposé du morceau final ! J’adore ce mystère et je pense qu’il ne faut pas pouvoir tout expliquer. Ce mystère me manque un peu dans les compositions actuelles. Je peux presque prédire comment une chanson va se dérouler à la première écoute. C’est pathétique.
Comment était New York à la fin des années 1970 et début des années 1980 ?
New York n’était pas aussi épuisante qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’était le moment où les banques poussaient comme des champignons. Il y avait du crime, beaucoup de crimes. Je vois ça un peu comme quand tu vas dans la jungle. C’est très beau la jungle, mais il faut y connaître les règles pour ne pas se faire bouffer par un anaconda. Pour New York c’est pareil. Les gens des quartiers se connaissaient entre eux. Tout fonctionnait par un système de « communautés » : les personnes se soutenaient.
Comment fais-tu pour continuer d’exercer ce métier encore aujourd’hui ? Et pour payer ton loyer ?
C’est dur de survivre quand tu es un artiste aujourd’hui. Souvent tu es confronté à des choix impossibles. On te demande de faire une merde commerciale ou pour créer un truc vraiment beau ou profond, il faut que tu souffres le martyr. Moi, j’essaie de survivre à toutes les époques. Je m’intéresse énormément à la musique, donc quand j’entends un truc nouveau, je me documente et j’essaie de comprendre comment les musiciens font tel ou tel son. C’est de cette façon où tu peux survivre aux différentes époques : en travaillant sans cesse !
Tu sais, après mon retour de tournée de Duran Duran, il y avait Nirvana qui tournait en boucle à la radio. Le grunge ce n’était pas mon style, mais j’ai dû m’y mettre pour suivre la mode. Tous les grands artistes le font aussi. Quand il y a eu la période disco, même les Rolling Stones l’ont adapté à leur sauce, sans oublier Fleetwood Mac ou encore Blondie.
A Karma nous avons une question rituelle : préfères-tu les Beatles ou les Rolling Stones? Et pourquoi ?
Je vais prendre les Beatles, car je suis un gentil, même si je sais les Rolling Stones sont de faux méchants. Les Beatles me correspondent plus, car c’était des rêveurs, un peu comme moi.
Propos recueillis par : Nathalie Barbosa