Pleins de petits tours et puis s’en va. La venue de Mos Def à la BAM de Metz le samedi 7 février devait clore en beauté la semaine messine du Festival Freeeeze. Les fans ont du malheureusement se faire à l’idée qu’à présent devenu Yasiin Bey, l’artiste avait changé. Heureusement, un Hippocampe Fou s’était invité à la fête et n’en a fait qu’à sa tête.
La nouvelle avait été soigneusement préparée par Boumchaka. Avec déjà les noms de Mobb Deep, Rone ou encore Herbaliser, la programmation de leur festival électro hip-hop avait déjà de quoi faire des jaloux. Mais tel un cadeau en cette fin d’année et période de fête, le nom de Mos Def était apparu sur les réseaux sociaux. Avec le duo du Queens, le natif de Brooklyn allait donc être la deuxième grosse figure rap de la quatrième édition de Freeeeze. Des artistes à l’univers complètement différents mais aux carrières bien remplies et au respect des fans toujours intact. Tous ont traversé les décennies à leur façon, collés à leur image de durs et de rap brut pour les uns et orientés vers le cinéma et l’expérimentation pour l’autre. Là où Prodigy et Havoc avaient assuré un show sans fioritures une semaine auparavant à Nancy, celui qui se fait désormais appeler Yasiin Bey allait devoir faire de même, voire mieux.
Tout était en place pour que cela se produise. Plusieurs semaines après l’annonce officielle de son passage à Metz, l’idée d’un hommage à J Dilla, le brillant producteur hip-hop originaire de Detroit et disparu il y a plusieurs années, résonnait comme de plus belle dans le cœur des connaisseurs. Mos Def, l’artiste à la gouaille, au flow et aux influences si divers et Jay Dee, l’un des artistes les plus influents du côté de la production allaient être rassemblés le temps d’une soirée, qui plus est une date unique française, dans la toute neuve Boîte A Musique de Borny. Même du vivant du Dilla, impossible d’imaginer pareille réunion sur une même scène dans la région. Impossible de louper ça, même pour les néophytes. Mais tout cela semblait trop beau, et la machine à rêves s’est vite enrayée.
Cela fait maintenant un moment que des images de feu Jay Dee défilent derrière les platines vides du DJ de Yasiin Bey. Le temps commence à se faire long mais sans non plus que l’attente n’en devienne insupportable. Puis, le voilà qui arrive. Il porte une grande écharpe blanche et une sorte de grande toge noire et avance doucement, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil. Dans sa main, un chapeau en feutre. Le voilà qui commence à répandre des pétales de roses sur son chemin tout du long de la scène. C’est seulement une fois son micro rouge saisi qu’il s’adresse au public. Son arrivée n’est rien comparée à ce qui attend les gens dans la salle. Rien que le technicien des lumières ne devait pas s’attendre à se faire dicter son travail autant de fois par un Yasiin apparemment très préoccupé par les couleurs des projecteurs sur scène.
Dans son ensemble, le concert a vite pris une direction inattendue. Comme habité, ou imbu de lui-même c’est selon, le MC a pris l’hommage de Dilla très au sérieux. Peut être trop. Comme lorsqu’il se mettait à faire la toupie pendant un moment, les bras grands ouverts ou circulait sur scène avec un grand sourire, sans vraiment prêter attention au public. Sans le cacher, parfois il demandait simplement à son DJ de passer un titre produit par le Detroiter sans même rapper ou chanter par dessus. Situation surréaliste pour un artiste connu pour sa technique et sa voix si reconnaissables. Certes, il a bel et bien interprété ses morceaux, tels les célèbres Ms. Fat Booty, I’m Leaving ou encore Umi Says. Mais tous amputés de leur musique d’origine remplacée par une production de Jay Dee, ils en devenaient méconnaissables et frustrants pour les fans. L’amère impression de regarder Mos Def passer un bon moment plutôt que d’en offrir un au public finit par prendre le dessus et ses chants n’y changent rien. Noyé dans une spiritualité ou l’envie de trop en faire, le concert d’une heure peine à trouver ses marques et son rythme. Reste le fait d’avoir vu en live un artiste qui a tout de même débuté à la fin des années 1990 et qui a su laisser sa marque. Dommage que ce soit de cette manière.
Tout n’était pas perdu pour autant. Avant que Mos Def ne colle son oreille contre les enceintes du côté de la scène ou s’arrête en plein morceau pour répandre de nouveau des pétales de roses, deux bons shows s’étaient déroulés dans cette même salle. Membres du collectif local Skeud en Vrac, NEHS et SLZ ont eu la lourde tâche de commencer la soirée face à un public qui arrivait au compte goutte. Marquée par les années 1990, leur musique sent bon le rap français d’antan avec les scratchs de DJ Mad John et le sampling assorti. Les paroles sont bien écrites, les flows et les backs de chacun assurés, les ingrédients sont réunis pour proposer un moment de nostalgie aux plus âgés et se replonger dans les grands classiques. Sans tourner à la caricature, la posture et le message des deux confrères sont convaincants et donnent envie de secouer la tête à leurs côtés. La salle est déjà mieux remplie lorsqu’ils quittent la scène et les gens arrivent au bon moment pour entrer dans le monde farfelu du rappeur le plus aquatique qui soit.
Une fois son DJ et son partenaire Céo installés, Hippocampe Fou arrive tel un cosmonaute sur scène et donne un aperçu du reste de son spectacle ; une chorégraphie sobre mais inspirée, des paroles loufoques et drôles et un sens de l’autodérision à toute épreuve. Avec son collègue de micro, ils sautent, se figent, interpellent le public qui en redemande. Les morceaux du Parisien sont accrocheurs, addictifs et parlent à tout le monde. Un exemple pour contrer les grincheux des shows rap en général et une marche à suivre pour la majorité des artistes du milieu. Comme pour le titre Le Marchand de Sable, où de simples lanternes et lampes torches suffisent à lui donner une histoire et une atmosphère propre. Figure d’un rap français décomplexé au possible et rafraîchissant, qui parle du quotidien avec des blagues tout en étant dans le vrai, son concert est le véritable bol d’air de cette soirée.
Si la déception ne peut se cacher face à la performance de l’artiste new-yorkais, il était bon de voir les locaux pratiquer leur musique avec sérieux et dextérité et de découvrir un Hippocampe rappeur plein d’énergie et charismatique. Sans oublier que malgré l’excentricité débordante de l’américain contre laquelle elle n’y pouvait rien, Boumchaka a réussi un défi incroyable avec la venue à la fois de Mobb Deep et de Mos Def dans le cadre de leur festival. Et ce à une semaine d’intervalle et dans les deux cas, pour une date unique en France. Si le dernier concert de ce soir n’était pas le meilleur, il fallait tout de même être là, puisque ce que l’association est en train de monter avec Freeeeze, c’est quelque chose de grand. Et il faudra des gens pour le raconter lorsque dans plusieurs années, Boumchaka verra encore plus grand. En attendant, le prochain rendez-vous est de retour à Thionville avec une date au Nimby mercredi prochain. De quoi se remettre doucement du week-end mouvementé.
Auteur : Nathan Roux
Crédit Photo : Wesley Linster