Deux flamants roses devant un paysage clair et blanc. Voici la pochette du nouvel album de l’écossais Rustie, sorti le 25 août dernier. Sans doute pour montrer un amour caché de l’ornithologie du producteur. A moins qu’il n’y ait un sens caché sur le contenu musical du disque. Un peu des deux à vrai dire. La réponse pourrait même vous étonner.
Pour tenter de trouver une explication, il faut se pencher sur le titre même de l’opus. Green language ou »langue verte » aurait un lien avec le »langage des oiseaux », une langue secrète née depuis des siècles, où ses auteurs s’amusaient à donner des sens nouveaux aux mots. Les sonorités, la compréhension et la signification des phrases se retrouvaient alors chamboulées. Simple manière de communiquer entre communautés sous forme de codes, elle a évoluée jusqu’à devenir source de débat philosophique au XXe siècle.
Y voir un rapprochement avec la musique électronique de Russel Whyte peut alors déconcerter. C’est sans compter la symbolique et la dimension plurielle de cette langue. Elle renvoie à l’imaginaire, à l’onirique, invite à faire confiance aux sons plutôt qu’à l’écrit. A se laisser guider par des sonorités invisibles et à voir le monde qui nous entoure d’une autre façon. En réinterprétant ce que l’humain pensait comme acquis en lui donnant une toute autre dimension. Une fois ce travail sur lui-même fait, la personne peut alors communiquer et en comprendre d’autres, qui comme lui, se sont laissés porter.
Pour Rustie, un artiste électro connu pour ses ambiances atmosphériques, ses productions down tempo et ses mélodies cotonneuses, tout prend sens. Avec son deuxième album, il souhaite faire voyager son public à travers des mondes voulus les plus immersifs possibles. Des mondes où la frontière entre la musique et le langage n’existe plus, chacun pouvant se laisser porter où bon lui semble et être libre de comprendre ses productions comme il l’entend. Il n’y a pas qu’une seule manière d’interpréter son travail, il y en a des millions.
Attendue depuis le succès de Grass Swords en 2011, la deuxième sortie de l’artiste signé chez Warp change un tant soit peu sa composition. Whyte lui-même s’était engagé à rendre Green Language plus sérieux et mature que son prédécesseur. Le producteur reste cependant dans ce qu’il sait faire de mieux, à savoir des mélanges surprenants d’ambiant, d’électro avec une touche de hip-hop.
Et tant mieux. Dès le début (Workship), des bruitages et des notes de synthés jouées simultanément donnent l’impression de s’être téléporté en plein film de science-fiction. Glimpse conforte cette impression avec toujours ces mêmes claviers en fond. Mais ce sont surtout ces sons plus clairs qui invitent à naviguer dans ce nouveau monde, où il n’est pas question d’univers post apocalyptique mais d’une découverte d’un environnement qu’on imagine superbe.
Raptor, premier single de l’album, enchaîne avec un rythme rapide et des sons entraînants, comme si d’un coup on venait de se faire aspirer par une force invisible. Le trip se termine et les sons redeviennent plus calmes, plus sereins. Paradise Stone montre le bout de son nez, et déjà les cloches résonnent dans nos têtes comme pour nous guider vers une autre direction.
Tous les morceaux sont teintés de cette électro généreuse, chaude, qui fait tout de même danser. Tout du long, des notes semblent nous murmurer des choses à l’oreille, tandis que des titres comme Velcro, Lost (et son vocodeur) ou Dream On plongent à tout les coups l’auditeur dans un climat particulier et onirique. Les fans de hip-hop pourront retrouver D Double E (Up Down) et Danny Brown sur le survolté Attak et se rendre compte que l’électro peut tout à fait être compatible avec ce style de musique.
Green Language contient tout du long de ses 36 minutes, des bruits d’animaux, des bruitages sortis d’ailleurs et des sons difficilement identifiables mais qui semblent tous avoir quelque chose à raconter. Comme un appel à réécouter cet album afin de mieux profiter de chaque instant. Alors que de nombreux artistes cherchent à donner du sens et de l’émotion à leur musique, Rustie signe ici un album à rendre vert de jalousie la concurrence.
Article : Nathan Roux