Comme le dit leur biographie « Pas loin de 300 concerts, 4 albums, des splits, des compiles, des clips et des pochettes affreuses, des rencontres fortes, Justin(e), groupe de punk sans contrôle, avance dans l’indifférence et la joie, dans une démarche amateur et DIY, sans objectifs, et donc sans aucune raison de s’arrêter. » Effectivement ! Leur quatrième album appelé D+ / M, sorti début avril, est disponible à l’écoute ici. Entre le Marquis de Sade et Léopold Szondi, Justin(e) c’est une tête bien pleine dans un corps sain, et ils nous le prouvent. Le résultat ? Un entretien pas triste.
Bonjour les Justin(e) ! J’ai pour habitude de demander pourquoi les groupes ont choisi une dénomination plutôt qu’une autre. Donc pourquoi « Justin(e) » ?
Alex : Référence au premier ouvrage du Marquis de Sade, « Justine ou les Malheurs de la vertu ». On aurait aussi pu choisir Juliette la frangine de Justine, elle est intéressante Juliette aussi.
Après le départ de Jack, le bassiste, au lieu de lui trouver un remplaçant, Fab, passera du poste de guitariste à celui de bassiste. Est-ce que la vision des titres a changé pour Fab ? Ou la manière de composer les titres ?
FABIEN : C’est sûrement l’étape qui définit ce qu’est le groupe aujourd’hui et ce qu’il était avant. Beaucoup de bons titres de l’époque de Jack n’ont pas pu survivre au passage à 4 mais l’idée d’un nouveau gars à intégrer nous plaisait encore moins, surtout avec le style de Jack et la barre haute qu’il mettait techniquement. Le groupe à du mettre de coté les arrangements mélodiques et aller plus à l’essentiel, et fatalement mon rôle était différent, je me suis senti plus impliqué, j’aurai jamais imaginé que je puisse prendre autant de plaisir à ce poste et aller aussi loin dans le détail avec Olivier. Malgré tout l’amour que je porte à Jack, c’est peut être le truc le plus cool qui me soit arrivé dans mon parcours de musicien.
Olivier : Avec le recul, on a pris la meilleure décision. Aujourd’hui, c’est con mais j’aurais du mal à rejouer avec un autre guitariste (à part Fab évidemment). Quand on a fêté nos 10 ans en 2012, on a rejoué des morceaux avec Jack et Djé, c’était un réel plaisir. En plus on a carrément progressé et les morceaux du 1er album sonnaient vachement mieux.
J’ai lu récemment sur Wikipedia que suite à la première partie faite de Guerilla Poubelle, Till chanteur de Guerilla Poubelle, impressionné par la prestation, vous proposa de sortir un disque sur le label Guerilla Asso. Est-ce bien correct ? Comment s’est passé cette première partie de concert ?
Alex : Oui c’est vrai. A l’époque, on n’avait pas vraiment d’autre ambition pour le groupe que de faire deux ou trois concert quand les occasions se présentaient (fête de la musique, fête du village, anniversaire…). La proposition de Till a effectivement précipité l’enregistrement d’un premier album et une dynamique un peu différente dans la vie du groupe (plus de visibilité, accélération du rythme des concerts, nécessité de se structurer en association, possibilité de se projeter sur d’autres albums…).
Olivier : J’avais uniquement entendu parler de Guerilla par le pote qui organisait cette date. Le courant est passé hyper vite avec Till. Si mes souvenirs sont exacts, je crois que je lui ai dit qu’on projetait de sortir un EP 4 titres et il nous a dit qu’il avait un label et que ça pourrait être cool de sortir un album de Justin(e). On croyait que c’était un peu des paroles en l’air mais il l’a fait ce con.
Pouvez-vous aussi nous donner une petite explication concernant le titre du dernier album album « D+/M-» ?
Alex : Le titre est un lien avec la couverture de l’album qui représente les personnages du test de Léopold Szondi. Contrairement à Freud, Szondi avançait l’idée que les pulsions ne se définissaient pas seulement par rapport au sexuel. Il a donc répertorié et élaboré un schéma pulsionnel où il identifie quatre vecteurs pulsionnels différents, huit besoins et seize tendances. Le vecteur pulsionnel du contact ( C ), par exemple se décompose chez Szondi en quatre tendances élémentaires : m + (prendre tenir, accrocher), m – (lâcher, se détacher, se décrocher), d + (être à la recherche de), d – (conserver, retenir, maintenir).
La couverture de cet album représente quoi exactement ? Qui sont tous ces personnages ?
Alex : Pour construire son test, Szondi a rassemblé des photographies de personnes diagnostiquées comme porteuses d’une affection psychiatrique correspondant à telle ou telle tendance pulsionnelle. Les photographies ont été sélectionnées pour refléter le visage de gens qui ont vécu au plus près d’une pulsion en particulier. J’avais deux ou trois bouquins qui parlaient de Szondi à la maison et en regardant les photographies de son test, tous les schémas résumant sa pensée, je me suis dit que ça pourrait produire une esthétique intéressante pour le nouvel album.
Fabien : Après ça lors d’un barbecue durant la pré-production de l’album, Jérôme Cadith (bassiste des 70′s Pornographik Men) a remarqué qu’on avait tous la barbe. Fruit du hasard. Mais là il nous dit « Ah les gars, on le sent venir à 3 km le coup de la barbe pour la prochaine pochette ». Flash. Bonne idée. On s’est tous taillé nos barbes à la mode XIXème siècle et on a fait les photos qui finiront sur la pochette aux milieux des visages de Szondi.
Olivier : Je trouve que Fab a fait un super boulot sur l’ensemble des visuels du disque. C’est peut-être la première belle pochette du groupe.
Vos titres comme « Le septième titre » ou « Habeas corpus» inspirent un très grand fatalisme tout de même. Est-ce votre vision de la vie ?
Alex : Pour ma part absolument pas ! D’ailleurs je ne pense pas qu’elles soient particulièrement fatalistes. « Habeas corpus » s’inspire du travail de Giorgio Agamben, un auteur italien qui en s’appuyant sur la pensée de Michel Foucault tente de décrire l’ambition, qui est celle du pouvoir contemporain, d’intervenir jusque dans la vie biologique des individus et de gérer les citoyens comme de simples vivants. Le texte du « septième titre » s’est construit à partir de deux bouquins de Jacques Rancière (« La haine de la démocratie » et « Au bord du politique ») ou il aborde notamment l’idée d’une sélection des représentants du peuple par tirage au sort.
FX : Pour moi, le fatalisme est synonyme d’abandon et d’acceptation de l’ordre établi. La chanson « le septième titre » apporte au contraire une vraie piste de critique, de révolte. « La politique n’est pas un métier », tâchons d’en débattre pour réfléchir à une meilleure manière d’organiser nos sociétés.
D’ailleurs c’est fait exprès d’avoir mis « Le septième titre » à la sixième place de l’album ? C’est un clin d’œil ?
Alex : C’était pour que « Le septième titre » ne soit pas le septième titre !
Fabien : Tu remarqueras qu’on aime bien brouiller les pistes, entre l’ordre des lettres aléatoire dans tout le livret et le coup du « Septième titre » en piste six, c’est sûr : on est cool.
En quelques mots, comment décririez-vous votre style d’écriture ?
Alex : Documenté, je dirais. Chaque album est l’occasion d’aller lire des bouquins que je n’aurai pas pris le temps de lire par ailleurs. Il y avait plusieurs auteurs que je voulais allez voir de plus près depuis un certain temps (Jacques Rancière, Giorgio Agamben, Slavoj Zizek…). La nécessité d’écrire 15 ou 16 textes pour un album est un bon prétexte.
Fabien : Pour l’aspect instrumental, je dirai collectif. Une répète, une compo.
Le punk en général : qu’est-ce que cela représente pour vous ? Et est-il toujours d’actualité ?
Olivier : Le punk c’était un mouvement musical populaire, de prolos qui jouaient de la musique pour les prolos fin 1970 début 1980. J’ai bon ? Aujourd’hui c’est un terme qui reste pratique pour la police du « punk » pour définir qui est « punk » et qui ne l’est pas (mais moi, la police, quel que soit leur coupe de cheveux, j’aime pas trop). On trouve des T-Shirt Ramones chez H et M, The Exploited n’est plus qu’une marque de fringue (remarque, des fois je me dis que c’est peut-être pas plus mal). Vois la gueule du punk. Je noircis un peu le tableau mais c’est pas si désespérant. Je ne sais pas trop ce que tu entends par « d’actualité ». Je pense que oui, il y a du public, plein de groupes, plein de choses à dire, pleins de choses à défaire, c’est juste que c’est pas un mouvement très médiatique.
FX : Oui comme le dit Olivier, le terme « punk » est un peu servi à toutes les sauces maintenant. Pour ma part, je pense que l’important n’est pas forcément le terme, mais plutôt l’esprit de la chose : faire, créer, s’amuser, s’organiser hors du système marchand. Bien sûr, la musique et l’esthétique punk font partie de l’histoire du mouvement, mais l’essentiel a toujours été de proposer quelque chose de différent, quelque chose qui fait réfléchir mais qui ne se prend pas au sérieux.
Quelles sont les différentes influences musicales des différents membres ? Ressent-on cette influence sur certains titres en particulier ?
FABIEN : Je dirai que NOFX est ma plus grande influence, même si l’aspect francophone gomme un peu cette facette, les adorateurs de Fat Mike ont bien grillé tous les plans qu’on leur a pompés. Par ailleurs, un des plus grands albums de punk rock de tous les temps reste pour moi « Coral Fang » des Distillers. Je glisse régulièrement des hommages dans les compos, mais je ne crois pas qu’on puisse s’en rendre compte.
Olivier : Bah nan dis donc, je n’avais pas grillé pour Distillers, même si je savais que tu aimes beaucoup ce disque. A l’instar de Fab je suis hyper fan de NOFX, même si j’ai été assez déçu par le dernier album. En ce moment j’écoute beaucoup de hardcore mais ça se ressent pas dans ma manière de jouer je pense. J’écoute de moins en moins de truc francophone en fait.
Etant jeunes vous écoutiez quoi ? Un album qui a marqué votre enfance/adolescence ?
Alex : Les productions d’un label punk nantais qui s’appelait Dialectik Records : Zabriskie Point, PKRK, Les Klunk, Yalateff, NRA, Les Femmes et tout le bazar ! L’album que j’ai le plus écouté doit être « Des hommes nouveaux » de Zabriskie Point !
FABIEN : Vraiment jeune vers 7 ans j’étais dans le hard rock et gros fan de Metallica. Ride the lighting a très clairement défini les bases de ce qui allait me plaire toute ma vie : l’énergie et les grosses guitares. Puis en 1994, Nirvana, Green Day et Offspring, puis enfin en 2000, sur le tard, NOFX m’a foutu la plus grosse claque. Tout y est, mélodie, énergie, politique, humour.
Olivier : Étant jeune, c’est mon cousin qui me faisait des cassettes. J’écoutais beaucoup Guns n’ Roses, les deux Use Your Illusion, surtout. Je me rappelle aussi que vers 12 ou 13 ans je jouais au basket dans ma chambre (avec un mini panier) en écoutant le premier Body Count, je me prenais pour un gangster alors que j’étais enflé comme une arbalète. Mais la grosse révélation c’est quand mon frangin m’a fait écouter le morceau Fantôme de Zabriskie point dans sa Corsa pourave.
FX : Pour ma part j’ai beaucoup écouté de rap français avant de dériver vers le metal, voir le métal extrême à une certaine époque. L’album que j’ai du le plus écouter doit être « 1993… j’appuie sur la gachette » de NTM. Le punk-rock est venu très tard, j’ai appris à apprécier le style en tournant avec Justin(e).
Qu’est-ce qui au niveau musical vous a marqués récemment ? Un album que vous écoutez en boucle ?
Alex : Les productions d’un Label Punk/Hardcore nantais qui s’appelle Can I Say Records. Tout ce qu’ils produisent est génial : Santa Cruz, The Attendants, One Thousand directions… En ce moment j’écoute beaucoup le nouvel album de « The decline ! » des potes de Rennes avec qui on fait pas mal de concert en ce moment.
FABIEN : J’avoue qu’à bientôt 31 ans je suis moins excité qu’avant à l’écoute d’un album. En ce moment j’écoute Not Scientist et le dernier Sons of Buddah qui me font un peu oublier que Uncommonmenfrommars a un pied dans la tombe.
Olivier : J’ai récemment découvert Defeater, un groupe de hardcore plutôt mélodique et j’aime beaucoup. J’ai pas mal scotché sur le dernier Gallows qui est une véritable tuerie aussi. Ce matin en allant au taf je me suis réécouté Grace de Jeff Buckley et ça m’a rappelé pourquoi la telecaster est la meilleure guitare du monde.
FX : Je ne me définis pas forcément comme un grand mélomane et au risque de déjà passer pour un vieux con, je n’écoute pas beaucoup de musique chez moi.
Que vous apporte la dimension du live ?
Alex : l’occasion de passer une bonne soirée avec des potes !
FABIEN : Ça permet de faire les compos moins bien que sur le CD, de s’essouffler en faisant les chœurs et de boire des bières.
Olivier : Ça permet de transpirer un peu. Sans déconner, on n’a pas joué pendant presque six mois (à part un week-end en février) et du coup j’ai pris un peu de gras. Ça permet aussi d’être fatigué le lundi matin en allant au boulot et de pouvoir affirmer sans aucun doute possible que l’être humain n’est pas fait pour le travail. Sinon ça permet de voir plein de gens, de boire gratos et de se taper de franches parties de rigolade.
FX : C’est la finalité de ce qu’on fait je pense : jouer, chanter des chansons avec les gens, s’amuser, rencontrer du monde.
Enfin pour terminer, la question rituelle pour le magazine Karma : préférez-vous les Beatles ou les Rolling Stones ? Et pourquoi ?
FABIEN : Beatles, parce qu’ils ont arrêté avant de faire moins bien.
Olivier : Les Beatles parce que mon papa il préfère les Beatles.
FX : Les Beatles, parce que je fais confiance au papa d’Olivier.
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