Dans le cadre d’un concert fleuve de plus de trois heures, nous avons eu le privilège de déguster le menu « entrée-plat-dessert » que la 40ème édition du Nancy Jazz Pulsations nous a proposé ce soir au Chapiteau du Parc de la Pépinière. Au menu, José James and Band, Christian Scott et Kenny Garrett. Bon appétit !
José James and Band
Il n’est jamais vraiment facile de qualifier une musique et presque toujours inutile. Pour la forme disons que la musique du José James Band est à la fois soul, jazzy, funky et pop. Nous voilà bien avancé, n’est-ce pas ?
Essayons autre chose. La voix pleine de subtilité de José James est la voix de son âme. Elle se pose merveilleusement sur une rythmique très épuré, voire dépouillée, assurée par un duo Bass/batterie des plus efficaces. Les tempos sont plutôt lents et lancinants. La voix est chaude. Le Piano Fender Rhodes tout droit sorti des caisses de Quincy Jones est idéal pour cette musique. Il est vrai que Kris Bowers est très largement à la hauteur de la tâche. Le vainqueur du prestigieux prix Thelonious Monk 2011 ne s’en laisse pas conter. Il fallait bien cela pour donner le change à ce merveilleux trompettiste qu’est Takuya Kuroda.
Une fois de plus, la programmation du NJP nous laissent pantois. Ils savent y faire, sans aucun doute. Une heure de concert avec ces gars-là est un pur bonheur. Leur musique nous transporte, nous caresse, sans jamais être démonstrative. Mais il ne faut pas s’y tromper, ces jeunes, car ils ont jeunes et pleins d’avenir, sont bourrés de talent et leur technique est parfaite. Le cocktail qu’ils nous servent se laisse boire sans aucune retenue. Symptôme évident : si, quand vous voyez des musiciens quitter la scène, vous regardez votre montre pour vérifier que le temps ne s’est pas arrêté, c’est que vous avez passé un bon moment. C’est ce qui est arrivé au public qui remplissait le chapiteau de La Pépinière à Nancy, ce soir.
José James : Chant
Richard Spaven : Batterie
Solomon Dorsey : Basse
Kris Bowers : Piano
Takuya Kuroda : Trompette
Passons maintenant au plat de Résistance
Christian Scott and Band
Après un début de concert chaotique, magmatique, émerge une musique puissante et énergique à l’image du leader de ce groupe qu’est le trompettiste Christian Scott.
On se rendra vite compte que le jazz de Mister Scott est à multiple facettes. En effet, au fil des morceaux, se dévoile une musique tantôt fine et subtile, tantôt agressive, parfois plus classique, parfois bebop – Dizzy n’est pas loin – sur des tempos effrénés, clin d’œil au jazz d’après guerre.
Ce qui est sûr, c’est que ces musiciens de très haut vol – ils viennent tous des plus prestigieuses écoles de jazz américaines telle que Berklee ou Juilliard School – ne laissent pas indifférent. Leur jeunesse apporte cette énergie indispensable pour un jazz de cette nature, mais ils font également preuve d’une très grande maturité. Le meilleur exemple est peut être incarné par Braxton Cook, saxophoniste de 23 ans qui tient la dragée haute à Christian Scott et n’hésite pas à monter au front avec lui.
Le passé de Scott fût tumultueux. Il connut durant sa jeunesse, à la Nouvelle-Orleans, quelques déboires, notamment avec la police. Il évoque cette scène de conflit au poste de police qui lui inspira ce fameux titre qu’est Ku Klux Police Department. Ce monstre de musique laisse alors apparaître, du haut de son imposante stature, cette fragilité qui fait toute la substance de sa musique. Et alors, on comprend tout d’un coup pourquoi on a adoré ce concert. Le jazz est une musique qui parle. Si les musiciens font passer le message et les émotions, la partie est gagnée. Mission accomplie ce soir pour Christian Scott et sa bande.
Christian Scott : Trompette
Corey Fonville : Batterie
Luques Curtis : Contrebasse
Lawrence Fields : Piano
Braxton Cook : Saxophone
Fromage ou dessert ? Les deux s’il vous plaît
Kenny Garrett and Band
Le dessert ce soir, nous est servi par cinq jazzmen en costume cravate. A l’ancienne, me direz-vous. Détrompez-vous, leur musique est empreinte d’une modernité qui ferait pâlir plus d’un jeune loup de la dernière génération.
Du haut de ses onze albums en tant que leader, il est vrai que Kenny Garrett n’en est pas à son coup d’essai. Ce routard du jazz est un habitué de la scène et des ambiances surchauffées. La liste est longue, mais voici quelques anonymes avec qui, par le passé, il commit quelques notes de musique : Miles Davis, Art Blakey, Freddie Hubbard, Mc Tyner, Pharoah Sanders, Ron Carter, Elvin Jones, Marcus Miller, Robben Ford…
Revenons au concert. Kenny et son groupe forment un monolithe indestructible. Une montagne. Le son est compact, solide, magnifique de clarté. Le groove basse/Batterie/percus tourne à merveille. Le tapis rouge est déroulé par le pianiste Lawrence Fields dont les chorus peuvent rappeler ceux d’Art Tatum. La voie est toute tracée, royale afin que Kenny y dépose ses notes, tels des petits cailloux multicolores, mais à dominante bleue, sur le bord de la route qui, de Détroit à la Nouvelle-Orléans, passe par Chicago, New york, et finit par traverser les mers du monde.
Ce jazz, tantôt abordable, tantôt plus ardu mais toujours agréable et sincère, présente une caractéristique propre à Kenny Garrett : c’est son influence orientale, voire asiatique dont il est empreint. Le voyage est superbe. Par moment, on ressent sur scène comme une transe psychédélique. Le fameux percussionniste Rudy Bird, par les couleurs sonores qu’il emploie, n’y est pas étranger.
Une mention spéciale pour le bassiste Corcoran Holt, un géant aux doigts d’or et d’acier, époustouflant de dextérité et de musicalité. Les autres ne sont pas en reste, bien sûr. N’est pas compagnon de route de Kenny Garrett, qui veut.
Cette fabuleuse soirée offerte par la 40ème édition du festival Nancy Jazz Pulsations s’achève ainsi par un stand-up général et un déferlement de la foule nombreuse vers la scène pour entrer en communion avec Kenny et ses musiciens. L’ambiance est alors à son comble, histoire de laisser une trace indélébile dans l’esprit de ceux ayant eu le privilège d’assister à ces trois concerts mémorables.
Kenny Garrett : Saxophone alto et soprano
Vernell Brown : Piano
Corcoran Holt : Contrebasse
McClenty Hunter : Batterie
Rudy Bird : Percussions
Article : Manu D’Andréa
Photos : Dominique Ferveur