Live Report – Daniel Darc – Nancy Jazz Pulsations 2012
Daniel Darc, ex-chanteur de Taxi Girl revient sur la scène pour cette 39ème édition des Nancy Jazz Pulsations. Rendez-vous était pris au Hublot à Nancy, où l’artiste venait notamment présenter sa dernière oeuvre, La taille de mon âme. Récit de concert par une vieille connaissance…
« C’était mieux avant ». Chanson de Daniel Darc mais aussi slogan d’une génération qui regarde les années 80 comme une période de prospérité économique et de création musicale. Ceux-là n’ont sans doute jamais entendu parler de Benny B et des grandes grèves sidérurgiques. Daniel Darc représente à la fois ce qu’il y avait de meilleur artistiquement dans les années 80 et ce qu’il y avait de pire dans sa vie privée.
J’espère en tout cas que vous ne vous direz pas « c’était mieux avant » en lisant ce « live report », comme le dit Ugo-notre-rédac-chef-bien-aimé, car cela faisait bien longtemps que je n’avais pas décrit mes pérégrinations musicales et ça m’avait vraiment manqué.
Mais avant tout, il y avait une première partie : un groupe canadien, Orignal Song… ou chinois Original Tong… Je ne sais plus. Après leur set, le bassiste, Yannick, soucieux d’échapper au rangement du matériel, me confiait qu’ils venaient de Montpellier et qu’on se foutait de retenir leur nom puisqu’ils s’appelleraient désormais Cookies.
Juste avant qu’ils ne montent sur scène, j’apercevais une personne souffrant de handicap (comme la nouvelle nomenclature m’obligeait à le définir) prénommé Raymond. Je décidais alors de l’aider à accéder aux premières places. Au-delà de l’extrême bonté qui me caractérise toujours, cela me permettait alors de me rapprocher du premier rang mais également, en me positionnant juste derrière lui, d’éviter le gros relou d’un mètre quatre-vingt-dix qui aurait pris un malin plaisir à se décaler toujours du côté où j’aurais pu apercevoir quelque chose. Raymond, l’homme à mobilité réduite (sauf dans les descentes), était lui ravit.
Guitare, basse, batterie, agrémentées ce soir de deux choristes et d’un clavier, composaient Original Song ou Cookies. Dès les premières notes, une ambiance très soul vitaminée enrobait l’atmosphère de la petite salle du Hublot. Dès que la chanteuse s’exprimait, la confirmation arrivait comme un telex sur le bureau du rédac-chef annonçant une nouvelle explosive : la pré-soirée allait sentir la chaleur des concerts noirs américains des petites salles des années 60. La voix était chaude et puissante, le set carré. Le public, de plus en plus nombreux, prenait la mesure de l’énergie dépensée sur scène ; les applaudissements se faisaient de plus en plus nourris. La chanteuse interprétait ses textes, tantôt en anglais, tantôt en français et les offrait telles des tournées de nectar que le public et Raymond burent.
Durant la courte pause entre les deux concerts, appelée dans le jargon technique « changement de plateau », j’allais gaiement chercher une boisson pétillante d’origine américaine pour moi-même ainsi qu’une autre boisson pétillante mais alcoolisée pour ma chère et tendre compagne d’outre-Rhin qui, après avoir shooté Optimal Kong, avait bien mérité un peu de réconfort dans un liquide lui rappelant ses ancêtres. Ancêtres qui, dans les années 40, auraient sûrement envoyé au bûcher le rock mélancolique de Daniel Darc et Raymond avec lui. Si les premières chansons rendaient hommage aux ballades sombres mais emplies d’amour de son répertoire, la demi-heure suivante nous prouvait qu’il n’était pas venu avec un guitare/basse/batterie pour rien. Les différentes générations et classes sociales que l’ex-égérie électro-pop des eigthies a drainées durant trente ans de carrière profitaient pleinement de l’énergie animale dégagée sur scène. Les refrains étaient planants, comme les nappes de fumée d’une opiumerie de Saïgon du début du vingtième siècle, tandis que les couplets envoyaient un rock noir, violent, complètement Dark.
Daniel tanguait alors sur scène comme un bateau ivre mort, donnant l’impression qu’il pouvait mourir là, sur scène, ce soir, devant nous : un condensé de ce qu’est l’essence même du rock, c’est-à-dire la noirceur, la mélancolie, la foi en rien sauf à l’amour injecté dans les veines des spectateurs tel un shoot d’héroine.
Daniel Darc n’oubliait pas de faire un clin d’œil à la période de sa carrière qui le lançait avant que les affres de la drogue en fasse un zombie du show-business et terminait ce concert avec le titre phare de Taxi Girl.
Sur le chemin du retour, ma chère et tendre d’outre-rhin et moi-même, croisions les Cookies en train de ranger leur matériel, sauf Yannick. Raymond roulait vers chez lui, satisfait d’avoir pu s’approcher d’un être humain dont l’âme était plus abîmée que ne le serait jamais son corps. Après cette soirée magique, repartir du Hublot en laissant derrière nous la douleur de Daniel Darc était un vrai Crève-cœur.
Article : Yoan Louis