Musique et cinéma : Howard Shore et « Maps to the stars »

affiche maps to the stars

Si vous ne connaissez pas Howard Shore, impossible que vous n’ayez pas déjà entendu sa musique. Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit, c’est lui. Le Silence des Agneaux, Seven, Panic Room et les derniers films de Martin Scorsese, c’est encore lui. Et le monsieur a aussi prouvé qu’il était capable de composer pour des comédies, comme pour Mrs. Doubtfire ou encore Mafia Blues. Pour David Cronenberg, il élabore des bandes originales étranges, organiques et sombres depuis leur première collaboration sur Chromosome 3 en 1979.

Treize coopérations plus tard, les voici de nouveau réunis pour Maps to the Stars, drame noir sur le déclin et la folie d’Hollywood, qui était en lice pour la Palme d’or cette année et qui est sorti sur nos écrans le 21 mai dernier. On y suit la famille Weiss, au dernier degré du dysfonctionnement avant implosion : le fils de 13 ans, enfant star qui sort de désintox, est froidement managé par sa mère, pendant que le père (John Cusack), sorte de thérapeute gourou, s’occupe de son unique cliente, une actrice vieillissante et névrosée (Julianne Moore, palmée pour sa prestation). Celle-ci engage comme assistante une jeune fille (Mia Wasikowska) fraîchement débarquée à Hollywood et bardée de mystérieuses intentions.

Maps to the stars (c) ‎Daniel McFadden

Crédit photo : ‎Daniel McFadden

David Cronenberg l’a dit dans plusieurs interviews : l’histoire familiale complexe de Maps to the stars est une manière pour lui de dénoncer l’aspect incestueux d’Hollywood, qui réutilise ad nauseam les mêmes recettes, vogue de remakes en reboots et ne prend plus le risque de s’injecter du sang neuf.

Pourtant, le film que propose Cronenberg est lui-même loin d’être exempt de références. Les critiques acerbes de l’impitoyable milieu hollywoodien ne manquent pas. On peut par exemple affilier la Julianne Moore de Maps to the Stars avec la Gloria Swanson de Boulevard du Crépuscule (1950), le chef d’œuvre de Billy Wilder sur le déclin d’une actrice ayant dépassé la date de péremption dans le milieu. Question parenté, on pense surtout à Mulholland Drive (2001), la mythique et grinçante satire d’Hollywood de David Lynch, qui enchevêtrait avec brio tous les degrés de rêve et de réalité. Pour sa part, Cronenberg, bien plus direct dans sa démonstration, ne laisse que peu de doutes sur la véracité de ce qu’il nous donne à voir. C’est d’ailleurs ce qui provoque le malaise : les personnages ont tous des psychologies borderline et sont cyniques et violents dans leurs propos, mais on ne doute pas un instant que cela puisse être la norme dans le véritable microcosme hollywoodien.

Filiation toujours, Howard Shore compose ici une fine partition à base de nappes de synthés lourdes et angoissantes, assez similaire justement à celle de son collègue Angelo Badalamenti pour Mulholland Drive. Mais cette fois, il n’en imprègne pas la totalité du film comme il l’avait fait pour Cosmopolis, le précédent long métrage de Cronenberg. Le recours aux morceaux sourds et languides n’a lieu que pendant les scènes d’apparitions spectrales. Car il est nécessaire de préciser, au risque de spoiler une partie de l’histoire, que les personnages « voient des gens qui sont morts ». Le tour de force est de rendre ces apparitions plus acceptables, plus familières en tout cas pour le spectateur que l’existence décalée que mènent les vivants. Ces derniers retrouvent, dans ces rares moments, figure humaine. Si la musique souligne bien l’effroi qui s’empare des personnages dans ces moments, elle fonctionne aussi comme une marque de cinéma à laquelle on est habitué. Elle est donc rassurante dans la mesure où elle nous rappelle que l’on se trouve bien dans une fiction. Le reste du film, sans musique donc, en creusant à la fois une veine réaliste et outrancière, achève de nous plonger dans un malaise sans fond.

Comme pour s’éloigner le plus loin possible de cette folie hollywoodienne, le morceau-titre du générique final convoque des sonorités et des rythmes orientaux. Les images sont pourtant les mêmes que celles du générique d’ouverture – une foule d’étoiles dans la galaxie – mais la musique a changé. Alors que celle de début évoquait justement le cosmos, il faut braver le film, son lot de vivants et de morts, avant que Cronenberg ne nous donne une autre voie de salut : s’en aller très loin d’Hollywood, mais rester sur Terre avec les vivants, pour trouver de nouvelles influences et se remettre à créer.

Article : Timé Zoppé

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